1737-12-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon cher amy je n'ay rien à ajouter ny à la peinture que la déesse de Cirey fait de notre vie filosofique, ny aux souhaits de partager quelque temps cette vie avec vous.
Si certaine chose que j'ay entamée réussissoit il faudroit bien vous voir à toute force, au bout du compte. Pollion vous donneroit sa chaise de poste jusqu’à Troye, et à Troye vous trouveriez la mienne, et des relais. En un jour et demy vous feriez le voiage et puis O noctes cœnæque deum! On sait bien qu'on ne pouroit vous garder longtemps mais enfin on vous verrait.

Je suis d'autant plus fâché de cette déconvenue des Linants, que le frère commençoit à faire de bons vers, et que sa tragédie n’étoit pas en si mauvais train. Quand je vois qu'un disciple d'Apollon pèche par le cœur, je ressens les douleurs d'un directeur qui aprend que sa pénitente est au bordel.

Ma nièce n'a point voulu de mon campagnard. Je ne luy en sçais aucun mauvais gré. J'aurois voulu trouver mieux pour elle, cependant il est certain qu'elle auroit eu 8000lt de rente au moins, mais enfin elle ne l'a pas voulu et vous savez si je veux la gêner. Je ne veux que son bonheur, et je metrois une partie du mien à pouvoir vivre quelque fois avec elle. Mais dieu veuille que quelque plat bourgeois de Paris ne l'ensevelisse pas dans un petit ménage avec des cailletes de la rue Tibautodé. Il me semble qu'elle étoit faite pour Cirey.

Je vous suplie de mander au prince R. de votre côté que je suis très en peine d'un gros paquet dont il daigne me donner avis, et que je n'ay point reçu, quoyqu'il soit parti le io novembre.

Comment va l'acte de L'envie?

Ma sœur du haut des cieux qui règneroit sur moy.

Ce petit B, est un B, de m'abandonner. Je n'ay pas encor receu le paquet envoyé par l'autre voye. Je vous embrasse tendrement.