1760-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

Pourquoy n'y sui-je pas? pourquoy ne sui-je pas le témoin des plaisirs et des talents de votre illustre famille?
Votre altesse sérénissime fait en tout temps mes regrets.

Madame la princesse votre fille se fait donc américaine? Le prince aîné est Zamore! Il faut en vérité aller dans un nouvau monde pour avoir du plaisir par le temps qui court. Je vois la grande maitresse des cœurs qui leur donne des leçons, car il me semble que je l'ay entendue très bien réciter, et mieux sans doute que le maitre de langue, quel qu'il soit. Nous n'avons icy madame dans la ville de Jean Calvin aucun dessinateur capable de dessiner un habit de téâtre, pas même un surplis. Mais je vais y suppléer: une espèce d'habit à la romaine pour Zamore et ses suivants, le corselet orné d'un soleil, et des plumes pendantes aux lambrequins, un petit casque garni de plumes qui ne soit pas un casque ordinaire. Votre goust madame arrangera tout cet ajustement en peu d'heures.

Si on peut avoir pour Alzire une juppe garnie de plumes par devant, une mante qui descende des épaules et qui traîne, la coeffure en cheveux, des pionçons de diamant dans les boucles, voylà la toilette finie. Pour Alvares et son fils, le mieux serait l'ancien habit à l'espagnole, la veste courte et serrée, la golille, le manteau noir doublé de satin couleur de feu, les bas couleur de feu, le plumet de même. Monteze vétu comme les américains. Voylà madame tout ce que votre tailleur peut dire. Mais en qualité d'autheur, V. A. Se est bien convaincue que je voudrais être le maitre de langue. J'ignore quel est le bel homme qui s'est donné pour le médecin Tronchin. Le véritable est encor à Genève, et peutêtre n'en sortira pas. Pour mademoiselle Pestriset j'ay eu l'honneur de luy écrire madame et de luy envoier le compte qu'on m'a remis pour le banquier que V. A. Se protège. Je me flatte qu'elle m'aura mis aux pieds de V. A. S. et de toutte votre auguste maison. Freitag doit être bien étonné d'être trépassé d'une mort naturelle. Hier il vint chez moi un Prussien, fils du général Brédau. Je luy demanday des nouvelles de tous ceux que j'avais vus chez le Roy. Madame il n'y en a pas un en vie. O monde que tu es néant! Daignez madame agréer les profonds respects de

V.