1736-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Vous protégez une cause, et vous raportez un procez dont l'issue me fait trembler.
Que ne pui-je mériter tout ce que vous daignez faire pour moy! Mais il ne m'est pas si aisé de faire de bon vers, qu’à vous de rendre de bons offices. Je ne vois plus qu'un étang. Je tâche au hazard de vous satisfaire. Jugez de tout ce que je vous envoye. Je pencherois pour remettre le troisième acte, suivant les scènes cy jointes. Il me semble que la scène du père ne fait pas un mauvais effet. Ce n'est point un bas et lâche politique, c'est un homme devenu Européan et crétien, qui fait tout pour sa fille, qui ne veut que son bonheur. L'amour paternel intéresse toujours. Cette nouvelle Leçon que reçoit Alzire de son père sur ses nouvaux devoirs, produit encor dans son cœur un combat qui rend son entrevue avec son amant plus intéressente. L'absence du père qui est au conseil rend cette entrevue vraisemblable. Tout ce qui me fâche, c'est que Monteze qui doit garder sa fille à vue, ne parait point à la fin de l'acte avec Gusman et Alvares. Mais c'est précisément par ce qu'Alvares et Gusman sont là, que le père y est inutile. D'ailleurs si c'est un défaut, ce défaut subsistoit de même dans la première manière. Madame du Chatelet aprouve que ce troisième acte commence de la façon dont je vous l'envoye. C'est un peu de peine de plus pour le seul le Grand, mais il la prendra volontiers s'il croit que cette augmentation embellisse son rôle. Il y a même dans ce morceau, des choses qu'il peut rendre patétiques. Enfin ce biais nous sauve de la triste, et inutile Cephane.

Si j’étois auprès de vous mon cher et respectable bienfaicteur que j'aimeray toute ma vie, j'exécuterois vos ordres plus promptement, et vos lumières m’éclaireroient de plus près. Mais il n'y a que la persécution qui puisse jamais me tirer de Cirey.

V.

Mille tendres respects à me de Feriole, et à mr de Pondevele. Mrs de Richelieu et Henaut, ont ils lu, cette pièce?