1er septembre [1735] à Cirey par Vassy en Champagne
Mon cher amy, il faut toujours que de près ou de loin, je reçoive quelque taloche de la fortune.
J'avois eu la condescendance de donner ma petite tragédie de Jules Cesar à l'abbé Asselin pour la faire jouer à son collège, avec promesse de sa part que copie n'en seroit point tirée. C'étoit une fidélité qu'on m'avoit relligieusement gardée à l'hôtel Sassenage. Je n'ay pas été aussi heureux au collège d'Harcour. J'aprends que non seulement on vient d'imprimer cet ouvrage, mais qu'on l'a honoré de plusieurs additions et corrections qu'un régent de collège y a faites. Je suis persuadé qu'on ne manquera pas encor de dire que c'est moy qui l'ay fait imprimer. Ainsi me voylà calomnié, et ridicule. Ne pouriez vous point me sauver une partie de l'oprobre en publiant, et en faisant mettre dans les journaux que je ne suis en aucune manière responsable, mais bien très affligé de cette misérable édition?
Autre misère. On m'envoye une ramsaide, mauditte rapsodie, infâme calotte, et mon nom est à la tête. Dites moy franchement le monde est il assez sot pour m'attribuer cet ouvrage? Consolez moy en m'écrivant. Je croyois en ayant renoncé au monde avoir renoncé à ses tracasseries comme à ses pompes, mais il est dur de se voir d'un côté père putatif d'enfans supposez, et de l'autre père malheureux d'enfans barbouillez. Si je ne suis pas heureux en famille, au moins le sui-je en amis. Savez vous bien àpropos d'amis que notre Fawkener est ambassadeur en Turquie? Un marchand homme d'esprit est quelque chose comme vous voyez chez les Anglais, mais parmy nous, il vend son drap, et paye sa capitation. Vale, scribe, ama.