ce 24 [September 1735]
Depuis que je vous ay écrit mon cher amy, j'ay lu force fadaises nouvelles; une cargaison de petites pièces comiques, d'opera, de feuilles volantes, m'est venüe.
Ah mon amy quelle barbarie, et quelle misère! la nature est épuisée. Le siècle de Louis 14 a tout pris pour luy. Vergimus ad fæces. Je suis si ennuyé que je n'ay pas la force de m'indigner contre l'abbé des Fontaines. Mais vous qui avez de l'amitié pour moy, et qui savez ce que j'ay fait pour luy, pouvez vous soufrir la manière pleine d'ingratitude et d'injustice dont il parle de moy dans ses feuilles? Je n'avois pas lu ces impertinences hebdomadaires quand je le priay il y a quelques jours de vouloir bien me rendre un petit service. C’étoit au sujet de cette misérable édition de la mort de Cesar. Je le priois d'avertir le public que non seulement je n'ay aucune part à cette impression mais que mon ouvrage est tout à fait différent. Je ne sçais s'il aura eu assez de probité pour s'acquiter auprès du public de cette petite commission sans mêler dans son avertissement quelque trait de satire, et de calomnie. Cependant il m'est important qu'on sache la vérité, et je vous prie d'engager soit l'abbé des Fontaines, soit le mercure, soit le pour et contre, à me rendre en deux mots cette justice.
J'ai lu la nouvelle critique des lettres philosophiques. C'est l'ouvrage d'un cuistre ignorant, incapable d’écrire, de penser, et de m'entendre. Je ne crois pas qu'il y ait un honnête homme qui ait pu achever cette lecture. Vous croyez bien que je ne tire pas même vanité des injures que me dit ce misérable. Mais j'avoue que je suis blessé des calomnies personnelles que ces gredins répètent sans cesse, les cris de la canaille ne peuvent rien contre la réputation d'un écrivain qui a les suffrages du public, mais les accusations infamantes désolent toujours un honnête homme. De quel front ces lâches calomniateurs osent ils dire que j'ay trompé mon libraire dans l’édition des lettres philosophiques à Londres? N’êtes vous pas intéressé à réfuter cette accusation? Qu'on me dise un peu par quelle rage les gens de lettres s'acharnent à me reprocher ma fortune et l'usage que j'en fais, à moy qui ay prêté, et donné tout mon bien, à moy qui ay nourri, logé et entretenu comme mes enfans deux gens de lettres pendant tout le temps que j'ay demeuré à Paris après la mort de me de Fontainemartel. Qu'on me dise quel est le libraire qui peut se plaindre de moy. Il n'y en a aucun de tous ceux que j'ay employez, à qui je n'aye fait gagner de l'argent, et à qui je n'aye remis partie de ce qu'ils me devoient. Je suis honteux d'entrer dans ces détails mais la lâcheté avec laquelle on cherche à me diffamer doit exciter le courage de mes amis, et c'est à eux à parler pour moy. En voylà trop sur un chapitre aussi désagréable.
Si vous connoissez quelque livre où l'on puisse trouver de bons mémoires sur le commerce, je vous prie de me l'indiquer afin que je le fasse venir de Paris. Faites moy connaître aussi tous les livres où l'on peut trouver quelques instructions touchant l'histoire du dernier siècle, et le progrès des baux arts. Je vous répéteray toujours cette antienne. Adieu mon amy. Entonnez vous toujours baucoup de vin de champagne? Avez vous revu la cruelle bégueule jadis, et peutêtre encore reine de votre cœur? Je comptois que mon amy Fakener viendroit me voir en passant par Calais, mais il s'en va par l'Allemagne et par la Hongrie. Si je n’étois pas à Cirey je vous avoue que dans deux mois je serois sur la Propontide avec mon amy, plutôt que de revoir une ville où je suis si indignement traitté, mais quand on est à Cirey on ne le quitte point pour Constantinople, et puis que ferais je sans vous? Vale et me ama, scribe sæpe, scribe multum.