1776-07-29, de Samuel Pechell à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'aurois dés Longtems eu L'honneur de prévenir votre dernière lettre, si je n'en avois été empêché par l'attente continuelle de voir finir L'examen des faits dans la cause de vos vassaux.
J'y suis parvenu depuis trois ou quatre jours: Il reste à calculer sur Les Sommes reçues ou payées par la bonne Jesuitesse, Le quantum qui doit passer en débit ou crédit aux parents de son époux. Opération prolixe et difficile, mais j'y seroy aidé par d'habiles gens.

A présent 'postico falle Clientem' que je vous parle Monsieur, non d'affaires, mais du plaisir que me donne votre correspondance. Quel bonheur pour moy si vos vassaux eussent obtenu votre interposition dix ans plutôt! remarque qui m'est souvent venue dans l'esprit au sujet du fû Lord Bathurst, que je n'ay eu l'avantage de connoitre particulièrement, et en amy, qu'à son âge de quatrevingt ans: j'en ay jouy dix ans. Puissé je avoir le même bonheur dans la connoissance que j'ay si heureusement acquise de — J'aurois dit L'Horace de notre temps, s'il n'eût mérité le reproche de 'toto non quater anno membranam poscas'— bien en prend à notre siècle qu'il y aye cela de différence. Mais étoitçe véritablement paresse? étoitce elle qui luy dictoit 'si quantum cuperem, possem quoque'? n'y auroit il pas une autre cause de 'nec meus audet rem tentare pudor'? Il sçavoit que 'vires ferre recusent' étoit faux. Se seroit il excusé du travail si le caractère d'Auguste eût été d'être de ses sujets le vainqueur et le père? s'il n'eût jamais mérité le reproche de Mecene? Le pudor pouvoit étre très fondé. Il ne méprisoit pas le nom de courtisan, mais Il vouloit aussi celuy d'honnête homme. Un prince peut avoir des qualités qui méritent des compliments; Il peut même être grand sans être Héros. Je ne me souviens pas d'avoir lû que cette politique luy aye été attribuée, et c'est la première fois la pensée m'en soit venüe. Il n'est pas étonnant Monsieur que vous m'ayés mené à Horace, encore l'est il moins que je m'adresse à vous pour apprendre le fond de ses pensées.

J'ay L'honneur d'être avec la plus haute estime

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Sam Pechell