1777-06-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Mallet Du Pan.

Vous allez dans un pays devenu presque barbare par la violence des factions; c'est un de mes grands chagrins que l'hommeéloquent que vous y verrez soit malheureux; il lui faudra du temps pour en parler la langue avec facilité: à combien d'embarras ce grand ouvrage politique hebdomadaire va l'exposer! C'est une chose si délicate que de vouloir rappeler à une nation ses intérêts, lorsqu'elle s'est privée elle même de tous les moyens de régénération! Je doute que Xénophon eût osé le tenter chez le jeune Cyrus; mais ce qui me donne les plus grandes espérances, c'est que m. Linguet a les outils universels avec lesquels on fait tout ce qu'on veut, le courage & l'éloquence.
Je lui souhaite autant de succès qu'il a de mérite. Vous savez que, selon la Fontaine,

Tout faiseur de Journal doit tribut au malin.

Il serait beau qu'il ne crût jamais avoir besoin de cette ressource, &, en effet, il est trop au dessus d'elle; je ne vous reverrai plus ni l'un, ni l'autre; mon grand âge & mes maladies continuelles ouvrent mon tombeau, &c.