C'est donc vous qui croiez m'exhorter à la paix?
Elle est depuis longtemps l'objet de mes souhaits.
Mais je désire en vain d'en célébrer la fête.
Neptune, et non pas moi, peut calmer la tempête;
C'est aux antiques dieux de l'Olimpe habitans
A réprimer les mers, à renfermer les vents.
Pour moi nouveau sevré dans la troupe céleste
Je dois borner mes soins à quelque avis modeste.
Mais je connais des dieux doux, sages, bienfesants,
Qui toujours modérés, toujours conciliants,
Déplorant dans leurs cœurs les souffrances publiques
Occupent leur vertu de projets pacifiques.
Pour l'altière Junon, Virgile vous l'a dit,
De nos cruels débats son orgueil s'applaudit.
Souvent dans l'univers répendant les allarmes
Des dieux trop aveuglés pour elle ont pris les armes.
C'est elle qu'on a vu sur les bords phrigiens
Persécuter Hector, Priam et les Troyens;
Et sur des fugitifs sa colère acharnée
Poursuivre par les mers Anchise avec Enée.
L'Europe assez longtemps trop docile à ses loix
Ouvre un œil fasciné pour la première fois,
Et d'un regard hardi confond son imposture;
On s'élève, on s'indigne, on éclate en murmure.
‘Faut il,’ dit on, ‘flexible à ses impressions
Fomenter nôtre trouble et nos dissentions,
En vils gladiateurs pour assouvir sa rage,
Nous baigner dans des flots de sang et de carnage,
Et toujours des combats préparer l'apareil?’
La raison assoupie est au jour du réveil
Par de vains préjugés dans le trouble engagée.
Dans peu de l'imposture elle sera vengée.
Ce tourbillon fougueux qui poussait tous ces corps
A par sa violence épuisé ses efforts;
Il s'apaise en grondant, essouflé, hors d'aleine
Et ne fatigue plus les sables de l'arêne.
Le stupide habitant de ces vastes forêts
Auquel le dieu du jour a refusé ses traits
Dans le fond ténébreux d'un repaire sauvage
Déteste par instinct la guerre qu'il partage.
Jusqu'aux cieux entouré par d'éternels glaçons
La voix de l'équité parle aux cœurs des Lapons.
Que dis je? — vos Français qui sous différents titres
Des droits des nations s'érigent en arbitres,
Votre dieu de la Seine, et vos rois plébéiens
Depuis que la fortune échape à leurs liens
Répriment en secret cette fougue effrénée
Qui prétendait des rois dicter la destinée.
L'abattement succède à ces bruiants transports.
Voiez vôtre patrie en proie à ses remords,
Elle sort à la fin d'un rêve fantastique
Et libre des ardeurs d'un accez frénétique
Recouvrant ses esprits, le jour et la santé
La France ouvre les yeux et revoit la clarté,
D'un raion de bon sens l'importune lumière
Frappe et vient éclairer sa débile paupière.
Les fantômes qu'un songe engendre avec l'erreur,
Dont un sang bouillonnant nourissant la vapeur,
Se dissipent soudain, et la vérité nue
Par cent objets fâcheux vient occuper sa vue.
A ses regards surpris quel odieux coup d'œil!
Elle voit le faux dieu créé par son orgueil
Ce monstre qu'engendra la haine dévorante
Au sacrilège sein de la discorde ardente,
Dont les membres divers sont autant de tirans
Prêts à se déchirer pour leurs vains différents,
Qui prompts à la servir, prompts à tomber sur elle
Sont l'apui dangereux de sa triste querelle.
Elle même s'étonne en trouvant en tous lieux
Ces vestiges sanglants, ces témoins odieux,
Terribles monuments de cruauté, de rage,
D'un transport insensé trop déplorable ouvrage.
De la Vistule au Rhin cent païs désolés,
Leurs murs encor fumants, leurs peuples immolés,
Toute l'horreur qui suit leur infernale guerre
Et que c'est elle enfin qui ravagea la terre.
Hélas! on ne sent point dans son égarement
Jusqu'où peut entrainer un fol ressentiment;
Elle même en rougit, elle a peine à le croire:
Voltaire effacera ce trait de son histoire
Et son roi dégoûté d'inutiles forfaits,
Las de tant d'embarras respire après la paix.
Cette paix lui devient utile et nécessaire.
Ses peuples oppressés périssent de misère,
Ses trésors par l'Autriche ont été épuisés,
Ses héros par l'Anglais vaincus et dispersés,
Ses vaisseaux, souverains d'Eole et de Neptune,
Echoués ou battus, maudissent leur fortune.
Un vaste état fondé dans un climat lointain,
Qui portait pour tribut du bord américain,
Ces poissons recherchés du zèle apostolique,
D'abstinence et de jeûne aliment catholique,
Ce Canada conquis par ses fiers ennemis,
Aux hérétiques mains des Bretons est soumis.
La France sans trésors, sans vaisseaux, sans systême,
Sans Quebec est réduite à manquer au carême.
La paix, la seule paix peut enfin la tirer
Du malheur que le temps doit encor empirer.
Dans son accablement, son orgueil plus fléxible
Aux maux du genre humain ouvre une âme plus sensible,
Et paraît s'empresser d'en terminer le cours,
La modération éclate en ses discours,
De son esprit altier les funestes maximes
Font place aux sentiments des âmes magnanimes.
Le peuple qu'éblouït ce généreux effort
Pense qu'il va jouir des biens de l'âge d'or,
Qu'étouffant la discorde ainsi que la vengeance
Son bonheur et la paix lui viendront de la France.
Mais ce peuple imbécile est dupé par les grands,
Oppresseurs des Etats, du monde sous-tirans,
Qui sans cesse absorbés dans des projets sinistres
Des attentats fameux sont les cruels ministres.
Que de leurs sons flatteurs la douce impression
Ne vous détrompe point de leur ambition,
Leur d'ehors est couvert du fard de la justice,
Leur cœur impénétrable est rempli d'artifice,
Vainement sous un masque ils pensent se cacher,
D'une main assurée il le faut arracher,
Il faut en découvrant leurs passions iniques
Exposer au grand jour ces démons politiques.
Ces farouches mortels aussi durs que hautains,
Tendres pour l'intérêt, pour nous pleins de dédains,
Si souvent arrosés des pleurs des misérables,
N'ont jamais amolli leurs cœurs impitoiables.
Trop hauts dans le succez, trop bas dans le malheur,
Le destin règle seul leur haine et leur faveur.
S'ils sont compatissants leur mal est sans ressource
Et l'amour de la paix n'est qu'au fond de leur bourse.
Non le sphinx qui dans Thêbe éxerçait sa fureur,
Ces monstres qui d'Hercule éprouvaient la valeur,
Les maux contagieux, les famines, les pestes,
Sont moins à redouter, sont cent fois moins funestes,
Que ces monstres d'Etat dont les complots pervers
Jusqu'en ses fondements ébranlent l'univers.
Craignez l'infection et le poison qui verse
Dans un cœur simple et pur leur dangereux commerce;
D'abord on les observe, on craint d'être trompé,
Tôt ou tard dans leurs pièges on est envelopé.
Il faut joûter contre eux, l'artifice à ses charmes,
Et l'on se sert enfin de leurs perfides armes.
Ah! passons dans le sein du repos et des arts
La fin d'un jour obscur troublé par les hazards,
Et bornant nos désirs au charme d'être juste
Fuions et Tigellein, et Néron, et Locuste.
à Freiberg 13e Décembre 1759