1760-03-26, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Peuple plaisant, aimables fous
Qui parlez de la paix sans songer à la faire,
Toujours incertains dans vos goûts,
Changeant de mœurs, de caractère
Selon votre inconstance et votre humeur légère.
A la fin résolvez vous:
Avec la Prusse et l'Angleterre
Voulez vous la paix ou la guerre?
Si Neptune sur vous appesantit les coups,
Pour vous venger de son courroux
Vos armées ce printemps subjugueront la terre.
Hélas! tout, je le vois, est à craindre pour nous
De votre milice invincible.
De vos héros fameux, dont Mars même est jaloux,
Mais surtout de votre prudence
Qui par un bizarre destin
A du souffle d'Eole, utile à la finance,
Abondamment enflé les outres de Bertin.

Vous parlez à votre aise de la guerre que nous faisons. Refusez vos subsides au roi de France et il se verra bien obligé de faire la paix. Quant aux propositions dont vous parlez, je les trouve si extravagantes, que je ne puis me résoudre à y répondre.

Certes ces gens sont fols, ou ces gens sont des dieux.

Voilà tout ce que je leur peux dire. Je me défendrai en désespéré, et il en arrivera ce qu'il plaira au hasard.

De cette affreuse tragédie
Vous êtes un des spectateurs
Vous sifflez en secret la pièce et les acteurs.
Mais je vous en vois tous jouer la parodie,
De même que les rois vous autres grands auteurs.
Vous vous persécuter, est votre maladie.
Nos funestes débats font répandre des pleurs,
Mais vos poétiques fureurs
Au public, né moqueur, donnent la comédie.
Si Minerve de nos exploits
Un jour devait faire le choix,
Elle préfèrerait, j'ose vous le prédire,
Aux fous qui font pleurer les peuples et les rois,
Les insensés, qui les font rire.

Nous continuerons donc encore à guerroyer, puisqu'ainsi le veut la destinée. Ceux qui font tant les fiers, pourront un jour s'en repentir. Je ne m'explique pas, mais en hantant ces méchants imperceptiblement, on devient vaurien comme eux et on apprend à leur rendre les mêmes tours, qu'ils ont employés pour nous nuire.

Je vous ferai payer jusqu'au dernier sol, pour me faire la guerre. Ajoutez dixième à vingtième; faites ce que vous voudrez, mais n'aurez la paix qu'à des conditions qui soient honorables à ma nation. Voilà des paroles sacramentelles, irrévocables, et sur lesquelles vos gens bouffis d'orgueil et de sottise peuvent compter.

Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.

Adieu, vivez heureux et en faisant tant d'efforts pour me détruire, pensez que personne ne l'a jamais moins mérité ni de vous ni de tous vos Français que moi.

Federic