1771-03-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Vraiment oui, mon cher ami, quoique les malades ne ressentent que leurs maux, j'ai senti vivement le triste état de douze mille honnêtes gens traittés comme des nègres par des chanoines et par des moines.
On leur avait persuadé qu'ils étaient nés esclaves et ils le croiaient bonnement. L'instruction fait tout, comme vous le savez. J'ai travaillé vivement pour eux et Mr le Duc de Choiseul les prenait sous sa protection. Ils ont dans mon petit Christin, un deffenseur admirable. Il est entousiaste de la liberté, de l'humanité et de la philosophie. Mais je crois que par ce tems cy les affaires de mes pauvres esclaves ne seront pas sitôt jugées. Le conseil est occupé à des choses plus pressantes; il faut attendre.

Je dois remercier madame la Duchesse de Villeroi de m'avoir épargné le soin de faire des chœurs à Œdipe. Je n'y aurais pas réussi; on fait mal les choses qu'on n'aime pas; et j'avoue que je n'ai pas de goût pour la musique mêlée avec la déclamation. Il me parait que l'une tue toujours l'autre.

Je suis bien aise que le ton magistral de ce petit Clément, sa malignité et ses bévues vous aient révolté comme moi. Ce maroufle descend de Zoïle qui engendra l'abbé Desfontaines, qui engendra Fréron, qui engendra Clement.

Adieu, mon cher ami; je suis accablé de maux; je suis aveugle; mais on m'assure que je retrouverai mes yeux quand ce mont Jura que vous connaissez n'aura plus de neige.

Made Denis vous fait les plus tendres compliments.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.