1776-02-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Toussaint Le Moyne des Essarts.

Je ne sais pas, monsieur, si le code noir permet d'écrire le nom d'une négresse sur un de ses tétons et celui d'un nègre sur une de ses fesses.
Tout ce que je sais, c'est que si j'étais juge, j'écrirais sur le front du juif, homme à pendre. Il est à croire du moins que si les allégations de vos clients sont prouvées, ils seront déclarés libres.

Au reste, vous faites trop d'honneur à la France de la louer de ne point admettre d'esclaves chez elle. Il y a dans une province de France qui touche à la Suisse, et dont je ne suis séparé que par une montagne, quinze ou seize mille esclaves, beaucoup plus malheureux que les nègres qui sont protégés par vous: car si vos esclaves appartiennent à un juif, ceux dont je vous parle appartiennent à des moines, en dépit de Louis le gros, de Louis le hutin et de Henri second. C'est dans la comté nomme Franche que le peuple est réduit à cet esclavage; il faut espérer qu'on détruira un jour cet opprobre infâme. En attendant je me flatte, monsieur, que vous rendrez la liberté à Pampy et à Amynte car il se peut en effet qu'il y ait encore quelque vertu sociale, et quelque humanité dans la nation qui s'est rendue coupable de la St Barthelmi, &c. &c. &c. &c.

Vos principes serviront peut-être à corriger un peuple dont une moitié a été si souvent frivole et l'autre barbare.

J'ai l'honneur d'être avec toute l'estime que je vous dois, monsieur, votre &c.

V.