1777-04-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux.

Monsieur,

La nature venait de me faire une niche fort ridicule, lorsque j'ai reçu ma félicité dans le beau présent de la félicité publique.
Il n'appartenait pas à un homme aussi maigre que moi d'être accusé d'une attaque d'apoplexie: ce ne devait pas être là mon genre. Cependant on prétend que telle a été ma destinée; et il faut bien qu'en effet j'aie essuyé cette plaisanterie, puisque tout le monde me le dit, et puisque j'ai été si longtemps sans pouvoir vous écrire et vous remercier. Mais enfin je peux lire, et c'est là ma félicité dont je vous remercie.

Je vois que vous avez bien étendu et bien embelli votre ouvrage. Les vues ultérieures, et l' appendix sur les dettes publiques sont des morceaux très instructifs. Vos remarques sur les esclaves sont d'autant plus belles que vous aviez des esclaves autrefois, et actuellement ce sont des moines de Bourgogne et de Franche Comté qui en ont. Il y a mille traits nouveaux qui intéressent et qui instruisent le lecteur.

Vous savez, monsieur, que j'avais été charmé de la première édition, et que je ne pouvais être suspect de flatterie: j'ignorais l'auteur. Je puis actuellement lui rendre les grâces que je lui dois. Mais dans l'état où je suis, je ne dois pas hasarder une trop longue lettre; un malade de mon âge doit se taire. Agréez sa très tendre et très respectueuse reconnaissance. Continuez à faire le bonheur de vos amis en regrettant celle que vous avez perdue.

Je ne fais que des adieux: made Denis compte bien vous remercier un jour à Paris de l'honneur de votre souvenir.