Mon très cher philosophe, c'est une consolation bien faible que les assassins du chev: de la B. soient à leurs maisons de campagne; mais nous ne pouvons pas espérer plus de justice dans ce monde.
Avez vous entendu parler de ce nouveau législateur de la littérature nommé Clement, qui juge à mort mr de St Lambert et l'abbé de Lile? J'ai lu cet animal, et me suis figuré que messieurs avaient tous une pareille dose d'orgueil. Est il vrai que ce maroufle a eu l'honneur d'être mis au fort l'Evêque? J'admire ce ton décisif que prennent aujourd'hui tous les gredins de la littérature. Ce polisson qui juge si impérieusement ses maîtres, présenta il y a deux ans une tragédie aux comédiens qui ne purent en lire que deux actes. Ne pouvant parvenir à l'honneur d'être jugé il s'est mis à juger les autres. C'est un petit élève de Fréron.
On me mande que mr de Mairan est fort malade. Voilà une quatrième place à donner bientôt. La mienne fera la cinquième; mais ne me donnez le nasillonneur ni pour confrère ni pour successeur.
Ne croyez pas un mot de tout ce que je vous disais dans mon dernier billet. Je parlais par économie (comme disent les pères de l'église). Si l'abbé de Lille est un homme sociable, un philosophe et un homme ferme, ne pouvez vous pas l'acquérir? Il mérite par son ouvrage cette réfutation de Clément; mais il est de l'université, et je crains toujours que ces gens là ne soient des Ribalier, des Cogé, des Tamponet.
Je vous demande en grâce, mon cher ami, de dire à m. de Condorcet combien je lui suis dévoué.
Je ne sais si madame Necker a reçu un paquet de ma part. Je vous envoie le premier volume des Questions: vous aurez ensuite le second, puis le troisième; je continuerai ainsi autant que je pourrai.
Pleurons sur Jérusalem, et soyons tranquilles. L'oncle et la nièce vous embrassent bien tendrement.
V.
à Ferney ce 2ème février 1771