4e Mars 1771, à Ferney
Messieurs,
Permettez moy de vous soumettre une idée dans la quelle j’ose me flatter de me rencontrer avec vous.
Rempli de la lecture des Georgiques de M. Delile, je sens tout le mérite de la difficulté si heureusement surmontée et je pense qu’on ne pouvait faire plus d’honneur à Virgile et à la nation. Le poème des saisons et la traduction des georgiques me paraissent les deux meilleurs poèmes qui aient honoré la France après l’art poétique. Vous avez donné à mr de st Lambert la place qu’il méritait à plus d’un titre. Il ne vous reste qu’à mettre mr de Lile à côté de lui. Je ne le connais point, mais je présume par sa préface qu’il aime la liberté académique, qu’il n’est ni satirique ni flateur et que ses moeurs sont dignes de ses talents.
Je me confirme dans L’estime que je lui dois par la critique odieuse [et] souvent absurde qu’un nommé Clement a faitte de cet important ouvrage ainsi que du poème des saisons. Ce petit serpent de Dijon s’est cassé les dents à force de mordre les deux meilleurs nimes que nous ayons.
Je pense messieurs qu’il est digne de vous de récompenser les talents en les faisant triompher de l’envie. La critique est permise sans doute, mais la critique injuste mérite un châtiment, et sa vraye punition est de voir la gloire de ceux qu’elle attaque.
Mr de Lile ne sçait point quelle liberté je prends avec vous, je souhaitte même qu’il l’ignore, et je me borne à vous faire juge de mes sentiments que je dois vous soumettre.
J’ay l’honneur d’être avec un profond respect
Messieurs
Votre très humble et très obéissant serviteur et confrère.