A Lyon ce 21e janvier 1734
. . . On m'a envoyé de Hollande une copie de cette infâme Epitre satirique, qui devoit paraître sous mon nom à la tête du Régnier.
Dî magni! horribilem et sacrum libellum!Je ne crois pas qu'on ait jamais rien vû de si grossier, de si plat, de si ridicule, ni de si fou. S'il est vrai que ogni Pittore, si dipinge se stesso, qu'elle étrange idée ne doit on point concevoir de l'Auteur d'un libelle si extravagant! Bon Dieu! reste-t-il encore sur la terre des hommes si pervers, et si impudemment brutaux? Vous savez de reste, que la seule vengeance que l'on peut prendre de ces sortes de gens, c'est le mépris. Mr de Voltaire s'est plus déshonoré lui même dans son Temple du Goût, qu'il n'a déshonoré ceux qu'il a voulu blâmer. Il doit être bien honteux de cette production, enfantée dans la colère; et l'on m'assure qu'il se répent de l'avoir publiée. A ce propos, Monsieur, je vais vous faire une question que me font quelquefois ceux qui savent, que j'ai l'honneur d'être de vos amis: Quelle est la cause de votre brouillerie avec Voltaire? Je sçai qu'après la publication de sa Tragédie d'Hérode et Mariane, vous en fîtes la Critique, ou le jugement, dans une lettre dont mr de Lasseré m'a parlé quelque fois, et dont la copie que j'ai, commence par Voici enfin cette superfétation poétique. On a parlé aussi d'une critique de Zaïre. Voilà tout ce que j'en sais, mais je présume que l'auteur de ces tragédies s'estoit attiré cela par quelqu'endroit; quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher de blâmer, ceux qui ont dévulgué, ce que vous leur aviez écrit confidemment, et sans avoir eu intention, que ce secret devînt public; car je mets une grande différence entre une lettre particulière, ou l'on communique ses sentiments à un ami avec franchise, et un ouvrage imprimé, dont l'Auteur attaque quelqu'un à visage découvert, et aux yeux de toute la terre. Sur ce principe là, Voltaire passera toûjours pour l'aggresseur à votre égard. Mais après tout, je vois avec chagrin que les deux seuls poëtes françois que nous ayons aujourd'huy, soient si vivement animés l'un contre l'autre, et il n'est rien que je souhaite avec plus d'empressement, que votre réconciliation . . . .