à Lion ce 30e Mars 1733
Voilà ce qu'il y a de crüel dans la vie, c'est de pouvoir point être assez à soy pour jouïr des personnes qui nous plaisent extrêmement et dont on estime le plus le commerce.
J'ay été Monsieur depuis près de neuf mois si peu arresté, que quelque bonne envie que j'aye eu de vous écrire, il m'a été impossible. Je retourne à Paris dans un mois et j'aurois remis ma lettre à ce tems là, sans le mouvement de colère et d'indignation où je suis de vous voir attaqué avec autant de fureur que d'injustice et de perfidie dans la nouvelle satyre d'Arroüet. L'on m’écrit que tout Paris a crié haro sur cet enragé, hors ceux qui ont été oubliez dans ce sot temple, Tous sont mécontens et les loüez et les blâmez. Plusieurs me disent icy que vous devriez y répondre, et moy je leur dis que vos ouvrages parlent plus haut que tout ce que vous pouriez dire à ce sujet. Enfin il s'est entièrement deshonoré et vous a aquis encor plus d'amis et fait souhaitter avec plus d'ardeur ve retour en France pour être le baillon de ses impertinences. Plust à dieu!
Enfin ne aimable amy Mr de Lasseré jouït de vous. Qu'il est heureux et que je suis charmé qu'il le soit! Faites je vous prie quelquefois souvenance de moy ensemble, nous vous le rendrons bien à Paris. J'espère qu'il nous apportera quelques unes de ces précieuses nouveautés dont le récit m'enchanta si fort à Bruxelles; vous me fîtes l'honneur de me les promettre lorsqu'elles paroistroient. J'attends l'honneur d'un mot de vous et de notre incomparable et bien cher amy M. de Lasseré avant mon départ. Faites moy voir par là que vous me pardonnez un silence qui ne peut trouver d'excuse que dans un aussy bon cœur que le vostre. J'ay l'honneur d’être Monsieur votre très humble et obéisst serviteur
de la Font de St Yenne
Gentilhe de la Reine à Lion
Dites je vous prie à ne amy que nous buvons souvent icy à sa santé avec l'intendt Mr Poultier. Il compte d’être aussy bien que moy à Paris dans un mois, et nous nous sommes donnés rendez vous chez luy au Temple.