1741-07-04, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Je n'ay encore eu le temps que de lire six fois vostre belle tragédie illustre ami.
En cela j'ay satisfait mon avidité et mon goust, mais pour vous obéir je vous en diray mon avis acte par acte et scène par scène. J'oseray discuter les choses du fonds, Les situations, les caractères, Le dialogue, les expressions mesme et Les vers, et toujours avec Les sentiments d'admiration et de tendresse que je vous ay voués. Les yeux d'un sincère ami sont ceux d'un honneste critique, son but n'est jamais de noircir mais d'embelir et de Parer ce qu'il aime. Je voudrois estre celuy là que Conseille Horace aux autheurs de son temps. Je vous réponds du moins de ma sincérité et de mon zèle.

J'adore ma maîtresse, et j'ose quelquefois
La prier d'adoucir ou d'élever sa voix,
L'amour me l'a permis, en Loüant sa figure
J'ay droit de gloser sa parure,
C'est un droit assés mal aquis.
Hier quand vos belles mains Philis
Arangeoient ces frisons que brunit la nature,
J'osay, pour Les toucher, en blâmer la tournure,
Un baiser ravissant en fut Le tendre prix.
Beautés et beaux esprits vous pensés tout de mesme,
Qui veut vous embelir vous plaist.
La critique en faveur d'un si doux intérest
Va jusqu'à vous prouver qu'on vous aime.