11e avril 1772
Mon cher et ancien ami, qui sont les gens qui ont dit qu’on n’aime point son successeur?
Ils en ont menti; j’étais amis de Duclos et je suis encor plus le vôtre. Je me flatte qu’avec le titre d’historiographe vous avez une bonne pension. Martin Fréron vous dit que vous n’avez fait que des romans. Premièrement, je maintiens que les anciens historiens n’ont fait que celà, et ensuitte je dis qu’un homme qui écrit bien une fable en écrira beaucoup mieux l’histoire. Je suis persuadé que Fenelon aurait sçu rendre l’histoire de France intéressante. C’est un secret qui a été ignoré de tous nos écrivains. Laissez donc braire maître Aliboron dit Freron. Il apartient bien à cette canaille d’oser juger les véritables gens de lettres! Ce misérable n’a gagné sa vie qu’à décrier ce que les autres ont fait; et il n’a jamais rien fait par lui même. Encor son devancier Desfontaines, son maître en méchanceté avait-il donné une médiocre traduction de L’Eneide. C’est une chose bien avilissante pour la France que le journal des savants soit négligé parce qu’il est sage, et qu’on ait soutenu les feuilles des Desfontaines et des Frérons parce qu’elles sont satiriques. Je me suis toujours déclaré l’implacable ennemi de ces interlopes qui sont l’opprobre de la littérature, et je suis fidèle à mes principes.
Ce que vous me mandez du nommé Clément me fait voir qu’il aspire à remplacer Fréron. Ce sera une belle série depuis Zoïle et Mævius. Je viens de retrouver une Lettre de ce misérable dans laquelle il me demande l’aumône, et dès qu’il a été à Paris il s’est mis à écrire contre moi; mais je ne lui en sais pas mauvais gré, il m’a mis en bonne compagnie.
Somme nous assez heureux pour que Mr D’Alembert soit nôtre secrétaire perpétuel? Je réponds du moins que s’il y a de la perpétuité ce sera pour son nom. Ne m’oubliez pas je vous en prie auprès de ceux qui veulent bien se souvenir de moy dans l’académie. Adieu, mon cher historiographe de Bélisaire et des Incas.