1767-02-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Joseph Dorat.

Il est vrai, Monsieur, que j'avais été flatté de la promesse que vous m'aviez faitte, lorsqu'une Lettre que j'avais écrite à mr le Chevalier de Pezay m'en attira une très obligeante de vous.
Cette espérance adoucissait beaucoup le mal dont je ne connaissais qu'une partie. Des vers tels que vous les savez faire auraient plû d'avantage au public que la publication de quelques lettres qui ne sont pas faittes pour lui.

Les procédés de Jean Jaques Rousseau ne sont point des querelles de Littérature, ce sont des complots formés par l'ingratitude et par la méchanceté la plus noire, dont les médiateurs de Genêve, et le ministère de France sont assez instruits.

Aureste, personne n'a jamais souhaitté plus passionément que moi l'union des gens de Lettres, personne n'a mieux senti combien il seraient utiles, et à quel point ils seraient respectés du public s'ils se soutenaient les uns les autres. Il faut laisser aux folliculaires, aux Desfontaines et aux Frérons l'infâme métier de déchirer leurs confrères pour gagner quelque argent. Ce sont ces misérables qui ont fait de la Littérature une arêne de gladiateurs. Vous avez redoublé mon estime pour vous, Monsieur, en m'aprenant que vous n'aviez nul commerce avec ce vil Fréron, qui est, dit-on, l'oprobre de la société, et dont on ne prononce le nom qu'avec horreur et mépris. Cet homme assurément n'était fait ni pour aprécier vos agréables ouvrages, ni pour aprocher de vôtre personne. S'il y avait encor des Chaulieu et des Lafare ce serait leur société qui vous conviendrait ainsi qu'à Mr Le Chevalier Pezay vôtre ami. Je vous répéterai encor que j'ai été très touché des Lettres que vous m'avez écrites, mais le public les ignore, il a vu la pièce que vous m'aviez promis de réparer. Je vous en parle pour la dernière fois. Je ne veux plus me livrer qu'au plaisir de vous dire combien j'ambitione vôtre estime et vôtre amitié, et avec quels sentiments J'ai l'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéïssant serviteur

V.