1767-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Enfin donc, mon cher confrère, voilà le mérite accueilli comme il doit l'être.
Ce ne sont pas là les prestiges et le charlatanisme d'un malheureux genevois dont Paris a été quelque temps infatué. Voilà un beau jour pour la littérature, et ce qui n'est pas moins beau mon cher ami, c'est la sensibilité avec laquelle vous parlez du triomphe d'un autre. C'est là le partage des vrais talents. Il faut que ceux qui les possèdent soient unis contre ceux qui les haïssent. C'est aux Chaumeix, aux Frérons, aux gazetiers écclésiastiques, à la canaille qui cherche de petites places, ou à la canaille qui les a, de s'élever contre ceux qui cultivent les arts. Le seul bruit d'une union fraternelle entre les D'Alemberts, les Thomas, vous, et quelques autres fera périr cette vermine.

Embrassez pour moi nôtre cher et illustre confrère qui est avec vous la gloire de nôtre académie.

Présentez, je vous prie, à made De Geoffrin, mes très tendres respects. L'affaire des Sirven qu'elle a pris sous sa protection devrait être plus avancée qu'elle ne l'est. On en a déjà pourtant parlé au conseil du Roy; mr Dechardon est nommé pour raporteur. J'aurais bien voulu que mr De Beaumont vous eût consulté, mon cher confrère, sur son factum dont le fond mérite l'attention publique. Ce sujet pouvait faire une réputation immortelle à un homme éloquent.

J'attends toujours vôtre Belisaire; il me consolera, je suis dans un état pire que le sien, entre trente pieds de neige, des soldats, la famine, les Rhumatismes et le scorbut. Mais il faut remercier Dieu de tout, car tout est bien. Je vous embrasse avec la plus sincère et la plus inviolable amitié.

V.