1767-10-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Mon cher ami qui m'appellez vôtre maître, et qui êtes assurément le mien, je reçois vôtre Lettre du 8 octobre dans mon lit où je suis malade depuis un mois; elle me ressusciterait si j'étais mort.
Ne doutez pas que je ne fasse tout ce que vous éxigez de moi dès que j'aurai un peu de force. Souvenez vous que je n'ai pas attendu les suffrages des princes et les cris de l'Europe en vôtre faveur pour me déclarer. Dieu confonde ceux qui attendent la voix du public pour oser rendre justice à leurs amis, à la vertu et à l'éloquence.

Il est bien vrai que la Sorbonne est dans la fange, et qu'elle y restera soit qu'elle écrive des sottises, soit qu'elle n'écrive rien. Il est encore très vrai qu'il faudrait traitter tous ces cuistres là comme on a traitté les jesuites. Les théologiens qui ne sont aujourd'hui que ridicules, n'ont servi autrefois qu'à troubler le monde; il est temps de les punir de tout le mal qu'ils ont fait. Cependant, votre aprobateur reste toujours interdit; et la défense de débiter Belisaire n'est point encor levée. Cogé a encor ses oreilles, et n'a point été mis au pilori, c'est là ce qui est honteux pour nôtre nation. Croiriez vous bien que ce maroufle de Cogé a osé m'écrire? Je lui avais fait répondre par mon laquais, la Lettre était assez drôle, c'était, La défense de mon maître. Elle pouvait faire un pendant avec la défense de mon oncle, mais j'ai trouvé qu'un pareil coquin ne méritait pas la plaisanterie, et qu'il valait mieux lui faire dire par mon laquais tout uniment qu'il est un maraut qui mérite punition.

Bonsoir mon cher ami; resserrez bien les nœuds qui doivent unir tous les gens qui pensent; inspirez leur du courage. Mes tendres compliments à mr d'Alembert; ne m'oubliez pas auprès de made De Geoffrin.

Made Denis vous fait mille tendres compliments, autant en disent mesrs De Chabanon et Delaharpe.