à Paris ce 4 auguste [1767]
Tranquillisez vous, mon cher maitre; aussitôt votre billet reçu, j'ai volé chez Capperonnier qui est un galant homme, Il m'a dit vous avoir déjà fait une réponse qui a dû calmer vos inquiétudes; il est aussi indigné que vous & moi de l'insolence du maraud qui s'est avisé de le mettre en jeu; je sais que le Président Henault pense de même, & je ne doute pas que mr le Beau, tout janséniste & dévot qu'il est, ne vous donnât la même satisfaction au sujet de la liberté que Cogé pecus a prise de le citer.
Aufond, cette tracasserie vous tourmente plus qu'elle ne vaut, & je ne puis surtout approuver la peine que vous avez prise d'écrire à ce cuistre de collègue une lettre dont il se glorifiera, et qui lui fera croire que vous le craignez. Je suis toujours étonné que vous ne sentiez pas votre force, & que vous ne traitiez pas tous les polissons qui vous attaquent, comme vous avez fait Aliboron; à votre place je me serois contenté d'avoir le désaveu du Président Henault (qui par parenthèse doit se plaindre à mr de Sartine), de Capperonnier et de le Beau, & j'aurois ensuite donné publiquement à Cogé un démenti bien formel, supposé encore que la chose en vaille la peine; car répondre à cette canaille, c'est lui donner l'existence qu'elle cherche; Capperonnier ignoreroit sans votre lettre que Cogé eût écrit, et qu'il y eût une critique de Bélisaire où il est cité.
J'ai reçu & lu avec grand plaisir la défense de mon oncle, & je vous prie d'en faire mes remerciemens à son neveu, qui demeure à ce qu'on dit, dans vos quartiers; je ne sais qui est l'archer des gueux auquel le jeune abbé Bazin répond; les coups de gaule qu'il lui donne me divertissent fort; cependant j'aimerois encore mieux qu'il s'en dispensât, & il me semble voir Cesar qui étrille des portefaix; il ne doit se battre que contre Pompée.
La réponse à Warburton dans la petite feuille est juste; mais je la voudrois moins amère; Il faut pincer bien fort, même jusqu'au sang, mais ne jamais écorcher, ou du moins il faut écorcher avec gayeté, & donner le knout en riant à ceux qui le méritent. J'en dis autant du ministre ou ex-ministre la Beaumelle que de l'Evêque Warburton, le premier est un va nuds pieds, le second est un pédant, mais ni l'un ni l'autre ne sont dignes de votre colère; vous êtes si persuadé, mon cher Philosophe, qu'il faut rire de tout, et vous savez si bien rire quand vous voulez; que ne riez vous donc toujours, puisque dieu vous a fait la grâce de le pouvoir? Pour moi dans ce moment je n'en ai guères envie; on ne nous paye point nos pensions, & à la longue cela ne peut produire tout au plus que le rire sardonique, qui est la grimace de ceux qui meurent de faim.
J'ai envoyé à Marmontel votre petit billet, qui sûrement lui fera plaisir. La Censure de la Sorbonne se fait toujours attendre; ce sera sans doute un bel ouvrage. A propos je trouve que le neveu de l'abbé Bazin ne l'a pas suffisamment vengé. Il dit presque autant de mal du capitaine Belisaire que des censeurs du Roman; je lui recommande encore une fois les Cogé, Riballier, & compagnie, & je le prie de leur donner si bien les étrivières qu'il n'y ait plus à y revenir. Cette canaille a grand besoin qu'on lui rogne les ongles; je voudrois que vous vissiez les deux ou trois phrases qu'ils ont retranchées dans le discours de mr de la Harpe. Par exemple en parlant de l'autorité du clergé qu'il faut, dit l'auteur, renfermer dans de justes bornes, ils ont mis dans ses justes bornes. Aulieu du mot juger le clergé, ils ont mis réprimer ses excez; ils ont retranché principes cruels, & la phrase suivante, porterez vous encore longtemps le fardeau des vieilles erreurs? Je voulois rétablir ces phrases à l'impression, mais la plus part de nos confrères ont cru plus prudent de n'en rien faire, pour ne pas compromettre l'académie. Avec cette prudence là, on recevroit sans mot dire cent coups de bâton. Adieu, mon cher maitre; portez vous bien, & surtout riez. Mille amitiés à mr de Chabanon.