1773-05-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Ce que vous m'avés mandé est très vrai & beaucoup plus fort qu'on ne vous l'avait dit.
Ces conseils & ces souhaits ont été regardés comme une injure. Il vaudrait beaucoup mieux se corriger que de se fâcher. Il arrive fort souvent que ce qui devrait faire du bien ne produit que du mal. Que vous dirai-je, mon cher Philosophe?

Monsieur l'abbé, & Monsieur son valet
Sont faits égaux tous deux, comme de cire.

Il n'y a d'autre parti à prendre que celui de cultiver librement les Lettres & son jardin, & surtout l'amitié d'un coeur aussi bon que le vôtre & d'un esprit aussi éclairé. Je ris des folies des hommes & des miennes.

A propos de folies, on m'a mandé que la moitié de Paris croyait fermement, que ouï le rapport de M. De la Lande une comète passerait aujourd'hui 20e de mai au bord de notre globule& le mettrait en miettes. Il y a bien longtemps que les hommes font ce qu'ils peuvent pour le détruire & ils n'ont pu en venir à bout. Je vous avoue que je soupçonne un peu de ridicule dans l'idée de Neuton que la comète de 1680 avait acquis, en passant à un demi diamètre du soleil, un embrazement deux mille fois plus fort que celui du fer ardent.

Il me semble d'ailleurs que Messieurs de Paris jugent de toutes choses comme de la prétendue Comète que Mr de la Lande n'a point annoncée.

Je vous prie, quand vous le verrés, de lui faire mes très sincères compliments sur le gain de son procès conte l'ami Cogé. Ce Cogé n'a pas fait grand bien, à ce que je vois, au pecus de l'Université.

Je suis toujours bien malade. J'égaie mes maux par les sottises du genre humain. Je vous aime et je vous révère.

Mon cher ami, mon cher philosophe, vous n'aviez pas pu soupçonner le motif de cette méchanceté. Mais vous avez fort bien connu le caractère de la personne. Vous connaissez aussi celui de son maître, donc il faut cultiver son jardin & se taire.