1762-12-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Pardonnez à un ami qui écrit si rarement.
La philosophie et l'amitié en murmurent mais elles n'en sont point altérées et la mauvaise santé et l'âge ne sont que des excuses trop valables. Aimez toujours monsieur un solitaire que votre sagesse et les folies des hommes vous attachent pour jamais. Une espèce de colporteur de Suisse m'a dit qu'il vous avait envoyé il y a un mois une brochure. Je soupçonne par le titre que vous n'en serez pas trop content. C'est dit il l'ouvrage d'un curé, et ce n'est pas un prône. Vous lisez tout bon ou mauvais et vous pensez que dans les plus méchants livres il y a toujours quelque chose dont on peut faire son profit.

La paix va nous rendre les plaisirs, et ne fera pas de tort à la philosophie. Il vaut mieux cultiver sa raison que se battre. Je viens de détruire des maisons comme on faisait en Vestphalie mais je les ay changées en jardins et à la guerre on ne les change qu'en déserts. Je vous souhaitte dans votre agréable retraitte des journées remplies et heureuses, des amis qui pensent, l'exclusion des sots et une bonne santé. Je m'imagine que cela est votre lot. Il ne manque au mien que d'être avec vous.