2e 9bre 1768
Je ne sais où vous prendre, mon cher et aimable ami, mais ce sera sans doute au milieu des plaisirs.
Vous êtes tantôt à la campagne, tantôt à Fontainebleau; et moi du fond de ma solitude, n'étant pas sorti deux fois de chez moi depuis vôtre départ, aiant seulement ouï dire à mes domestiques que l'on fait la guerre en Corse, et que le Roi de Dannemarck est en France, je vous adresse mon de profundis à vôtre maison de Paris à tout hazard.
Je ne sais si depuis vôtre dernière Lettre vous avez fait une Tragédie ou une jouïssance. Je ne sais ce qu'est devenu l'orphée de Pandore depuis le gain de son procez contre son détestable prêtre; j'ignore tout; je sais seulement que je vous suis attaché comme si j'étais vivant. N'oubliez pas tout à fait ce pauvre antipode. Quand vous aurez fait des vers envoiez les moi je vous prie, car j'aime toujours les beaux vers à la folie, quoique je sois actuellement plongé dans la phisique. La nature est furieusement déroutée depuis que j'ai coupé des têtes à des colimaçons et que j'ai vu ces têtes revenir. Depuis st Denis on n'avait jamais rien vu de plus mirifique. Cette expérience me porte à croire que nous ne savons rien du tout des premiers principes, et que le plus sage est celui qui se réjouït le plus.
On ne peut vous être plus tendrement dévoué que le mort
V.