21e auguste 1762
Le vieux paresseux malade a rarement la consolation d'écrire à son philosophe d'Angoulême.
Vous avez dû recevoir un petit imprimé qu'on dit assez curieux, et qui est dans vôtre goût. Je pense qu'il Vous fut envoyé par vôtre libraire de Genêve avant vôtre voyage de Paris. Le Libraire m'a dit que vous ne lui en aviez point accusé la réception. Il prétend que c'est un ouvrage très râre, et qu'il a eu beaucoup de peine à vous trouver. Si vous aviez quelque envie de voir les mémoires des Calas, il faudrait donner une adresse, par laquelle on pût vous épargner un port considérable, ce qui n'est pas à présent trop aisé. Ces Calas sont, comme vous l'avez peut être déjà ouï dire, des protestans imbéciles, que des catholiques un peu fanatiques ont fait rouer à Toulouse.
Si nôtre siècle a des moments de raison, il en a de folies bien atroce. Les Turcs prétendent que leur al-Koran a tantôt un visage d'ange, et tantôt un visage de bête. Cette définition de L'al-Koran convient assez au temps où nous vivons; il y a quelques philosophes, voilà les visages d'anges; tout ce qui se fait ailleurs ressemble fort à des visages de bêtes.
Je crois que nous aurons bientôt icy le gouverneur de vôtre Guienne, il fait comme vous, un petit pèlerinage chez le vieux gimnosophiste, mais de tous les sages qui sont venus dans cet hermitage, vous serez toujours celui que je regrêterai, et que j'aimerai le plus.
Nous n'avons point eu de nouvelles interressante, depuis la dernière colique du czar; il n'y a eu ni roy détrôné, ni moines abolis, ni bataille donnée la semaine dernière.
V.