A Paris ce 11 Mars 1767

Je ne vous écris pas de ma main, Mon cher et illustre ami, pour ménager mes yeux qui sont un peu foibles aux Lumières.
Frère D'Amilaville m'a dit que l'ouvrage sur les courbes à double courbure seroit bientôt imprimé. L'auteur vous prie de lui en envoyer par quelque voye sûre un exemplaire afin qu'il juge si le livre est correctement imprimé; il désireroit bien par cette même raison que personne n'en reçût avant lui; il s'en remet sur tout cela à votre amitié et à l'intérêt que vous voulés bien prendre à ce qui le regarde.

L'affaire de Marmontel avec la Canaille sorbonique est toujours pendante; l'archevêque, le croiriez vous! est celui qui se montre le plus modéré, & je ne sais s'il aura assés de crédit pour empêcher la Censure que la faculté veut faire. Aufond je trouve que Marmontel a fait trop d'honneur à cette canaille d'entrer en négociation avec elle, mais il est trop engagé pour reculer, et peut être pour ne pas souscrire à ce qu'on exigera de lui. Quelque phrases changées et tournées autrement lui auroient évité cette plate tracasserie. Quand on veut combattre des Tartares, il faut sçavoir se camper, & ne pas laisser ses flancs découverts.

Il y a bien longtemps que j'attends une certaine petite figure dont la possession me sera bien chère, et qui me dédomagera bien foiblement de ne point voir l'original; j'espère, Mon cher confrère, que vous ne m'aurés point oublié. Je vous ai déjà en gravure, mais je ne saurois vous avoir de trop de façons.

M. de Boullongne me paroit bien disposé à obliger M. de la Harpe et j'espère qu'il y réussira auprès de M. le Controlleur Général. A Dieu, Mon cher maitre, mes respects à Madame Denis. Quand aurons nous les Scythes? L'Etat de Mad^e La Dauphine pouroit bien retarder la représentation; cette princesse est tout auplus mal & les spectacles sont fermés. Mon cinquième Volume ne paroîtra pour Paris qu'au commencement du mois prochain; il est heureusement à l'abri de la Censure des Midas en Etoles et en soutane. Vale et me ama.

d'Alembert