1724-11-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Enfin je croi que vous m'aimez autant qu'autrefois puis que vous vous remettez à être malade quand je le suis.
Ne me donnez plus cette marque d'amitié mon cher ami. Vous êtes la moitié de moi même, la plus saine et la plus vivante. Conservez cette moitié si chère dans le temps que l'autre dépérit tous les jours. J'ai eu assez de courage jusqu'ici pour suporter mes maux. Il me semble que je ne pourois pas tenir contre les vôtres et les miens mêlez ensemble. Vous avez un fond de tempérament assez bon, vous n'êtes sûrement malade que pour avoir trop mangé. Soiez persuadé que la sobriété vous donnera de la santé, et qu'il n'est pas permis à tout le monde d'être intempérant. Achevez vite votre édition et revenez. Comment voulez vous que je vous envoie du Chaulieu ou du Lafare? Je n'ai presque bougé de mon lit depuis quinze jours. Me voilà condamné à ne sortir de l'hiver. Je ne voi plus de fin à mes maux. Je n'en espère plus. J'ai renoncé à avoir de la santé comme la Motte à faire de bons vers. Que je commence à vous savoir bon gré d'avoir résisté aux efforts que j'ai faits pour vous séparer de moi! Je voi plus que jamais que je n'aurois pu me consoler de votre perte. Vous avez préféré mon bonheur à votre fortune et vous n'avez songé qu'à moi lorsque je ne songeois qu'à vous. Couronnez tout cela par un prompt retour. Adieu, je n'ai pas la force d'écrire d'avantage.