6e 9bre 1770
La fièvre me prit, Madame, dans le tems que j’allais vous écrire.
Il n’est pas étrange qu’on ait le sang en mouvement quand on est occupé de vous. Franchement je suis bien malade, mais le plaisir de vous répondre fait diversion.
Oui, Madame, j’ai lu le troisième volume qui contient la réfutation du Pernetti, et je sais très bon gré à ce Pernetti de nous avoir valu un si bon livre.
Comment pouvez vous me dire que je ne connais point l’abbé Galiani? Est-ce que je ne l’ai pas lu? Par conséquent je l’ai vu. Il doit ressembler à son ouvrage comme deux gouttes d’eau, ou plutôt comme deux étincelles. N’est-il pas vif, actif, plein de raison et de plaisanterie? Je l’ai vu, vous dis-je, et je le peindrais.
On fait actuellement un petit dictionaire Enciclopédique, où il n’est pas oublié à l’article Bled.
Le mot d’impôt, et tout ce qui a le moindre raport à cette espèce de philosophie me fait frémir, depuis que le philosophe Mr L’abbé Terray m’a pris deux cent mille francs qui fesaient toute ma ressource, et que j’avais en dépôt chez chez Mr de la Borde. Il n’y a que vous, Madame, qui puissiez me faire suporter la philosophie sur la finance, parce que sûrement vous mettrez des grâces dans tout ce qui passera par vos mains.
Je veux croire qu’on a très bien raisonné; mais le pain vaut quatre à cinq sous la livre au cœur du roiaume, et à l’extrêmité où je suis.
L’idée qu’on ne nous charge que parce que nous sommes utiles est très vraie. On ne fait porter des fardeaux qu’aux bêtes de somme, et Dieu nous a fait chevaux et ânes. Si nous étions oiseaux on s’amuserait à nous tirer en volant.
En voilà trop pour un pauvre vieillard qui n’en peut plus, et qui est entre les mains des controlleurs généraux et des apoticaires.
Mes compliments à vos beaux yeux, ma charmante philosophe, quoique les miens ne voient goute. Mille respects.
V.