1776-02-13, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

La fable du rat et de l'aigle vaut bien celle de l'âne et du rossignol.
L'aigle troquerait volontiers avec le rat, si par ce troc il pouvait s'approprier les rares talents du dernier. Mais il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Corinthe, de même que n'est pas Protée qui veut.

Dans la fable, jadis dans la Grèce inventée,
Nous admirons surtout le grand art de Protée,
Qui, toujours à propos sachant se transformer,
A tous les cas divers pouvait se conformer;
Mais, plus merveilleux encor que cette fable,
Voltaire la rendit de nos jours véritable.

En effet, il n'y a point de mutation dont vous ne soyez susceptible; et pour vous rendre entièrement universel il ne nous manque de vous qu'un ouvrage sur la tactique. Je l'attends incessamment, comme devant éclore de votre universalité.

J'ai lu la brochure que vous m'avez envoyée, et j'espère bien que vous voudrez y joindre la continuation, qui contiendra sans doute des découvertes et des combinaisons curieuses.

Je viens d'essuyer encore un violent accès de goutte qui me met bien bas. Il faut que la belle saison vienne à mon secours pour me rendre mes forces. En attendant, le marquis de Ferney, intendant du pays de Gex, soulagera les peuples du fardeau des impôts; il réglera les corvées, et donnera l'échantillon de ce qui pourra servir à établir le bonheur des Velches. Je finirai ma lettre comme Boileau, Epitre: Je t'admire et me tais. Vale.

Federic