Ce Jeudi [8 February 1776]
On vous a peut-être mandé, mon cher et illustre maître, que sur La délation d'un nomé Epremesnil, et la réquisition de maitre Séguier La cour avait suprimé une petite feuille dont j'étais véhémentement soupçonné d'être L'auteur, et qu'il y avait eu même des voix pour me brûler en papier.
Il n'y a rien de plus vrai et de plus ridicule. L'Epremesnil est un petit Américain qui à force de faire doner des Coups de fouet à ses nègres est parvenu au point d'avoir assez de sucre et d'indigo pour acheter une charge de Conseiller du roi brûleur de papier. Mais vous ne savez pas qu'au moment où je vous écris on porte au parlement La suppression des conseillers du roi Languaieurs de porcs, et que les autres Conseillers du roi se préparent à prendre la défense de leurs confrères.
Il y a six édits, 1. la supression des Corvées, 2. Celles des Communautés de marchands et d'artisans pour Paris et Lion, 3. Celle de mille vingt cinq Conseillers du roi, 4. Celle de la Caisse de Poissi, 5. Celle des réglemens de police pour L'approvisionnement de Paris, règlements qui s'ils avaient été éxécutés auraient infailliblement amené La famine, 6. Diminution et administration plus raisonable des droits sur les suifs.
Je vous prie d'observer que les mille vingt cinq Conseillers du roi, levaient chacun pour leur part un impôt sur le peuple, que le Châtelet et le parlement en levaient un autre pour les frais des procédures sans fin que les maitrises occasionnaient, que les Corvées étaient un impôt énorme plus nuisible encore par L'avilissement où il tenait Le peuple que par ce qu'il lui Coûtait, que L'impôt pour La réparation et La Construction des chemins ne Coûtera point à La Nation entière le tiers de ce que les Corvées Coûtaient au peuple seul, et que Cependant les édits ne pourront être enrégistrés qu'en lit de justice, à moins que par une faiblesse aussi Lâche, que la résistance serait absurde, La cohorte de[s] assassins de La Barre n'accepte aujourd'hui ce qu'elle détestait il y a huit jours. Je ne fermerai point cette Lettre que je ne sache ce qu'ils auront fait.
J. F. Montillet se meurt: C'est le prince Ferdinand de Rohan (puisque prince y a) qui lui succède. Celui-Là fera moins de mandemens que de batues de Lièvres. Le Cardinal de Luines, votre confrère et le mien, est en apoplexie, ou plutôt en Paralisie. Vous voiez que L'épizootie gagne Paris. Mais si Comme celle des beufs elle n'étend ses ravages que sur une seule espèce, et qu'elle se renferme dans les bêtes à mitres Come L'autre dans les bêtes à Cornes, La vigne du seigneur sera en friche et Le champ de la raison humaine n'en sera que plus fécond.
Vendredi
L'assemblée des robes et des perruques n'est que pour ce matin. Ils ne feront que nomer des Commissaires, ainsi je ferme ma lettre. N'aiez aucune inquiètude sur tout ceci. Votre ami et La cause publique n'ont rien à craindre dans ce moment. Je vous embrasse.
Le Roi a montré dans L'affaire des édits une raison, un amour de l'application, un esprit de justice, un désir de faire le bien de ses peuples, et un Courage qui doivent bien consoler Ceux qui s'intéressent à La chose publique.