17e Mars 1776
Voicy, Monsieur, ce Sésostris qui est un peu moins incorrect que la copie qui court dans Paris.
Je ne sais si Messieurs feront brûler ce petit ouvrage, et si la Sorbonne excommuniera l'auteur comme hérétique sentant l'hérésie.
On prétend que Messieurs dans leurs remontrances ont dit qu'ils ne doutaient pas que la bonté et l'humanité de Sésostris ne l'engageassent à maintenir les Corvées, et à faire travailler les gens loin de chez eux sans leur donner ni à manger ni à boire. Mais le Roi d'Egipte leur aura répondu, sans doute, que ses ancêtres donnèrent du pain et des ognons à ceux qui bâtirent les piramides.
J'ai surtout la plus grande espérance dans la vertu persévérante de Mr Turgot. Je maintiendrai toujours, malgré la Sorbonne et Messieurs, que le ministre qui protège le peuple, et qui inspire à Pharaon l'esprit de sagesse et d'économie, vaut beaucoup mieux que le ministre des sept Vaches maigres et des sept vaches grasses, qui ne fit manger du pain au peuple qu'en le rendant esclave.
Je suis très fâché, Monsieur, d'être trop vieux pour voir encor un an ou deux du règne de ce Sésostris dont vous êtes le lecteur. J'attends avec impatience ses Edits enrégistrés ou non enrégistrés. Ceux que j'ai lus jusqu'à présent me paraissent tout à fait dans le goût chinois. Ils encouragent à la vertu, et ils promettent le bonheur; ces deux choses sont de vôtre ressort.
Voilà beaucoup de Sésostris qui se mettent sous vôtre protection.
V.