2e fév: 1776
Je ne veux pas, Mr, avoir deux fois l'indiscrétion de fatiguer Mgr Le controlleur général, tandis qu'il n'est peut être pas encor tout à fait quitte de sa goute.
Je l'avais suplié de me faire répondre par vous en marge d'un mémoire, et c'est malheureusement dans ce tems là qu'il fut attaqué de son nouvel accez.
Je m'adresse aujourd'hui à vous, Monsieur, qui vous portez bien. Je vous envoie l'enrégistrement du parlement de Bourgogne, accompagné de ses remontrances.
J'ignore si on avait oublié dans l'édit du Roi de spécifier que nos états de Gex répartiraient le paiement des trente mille Livres paiables aux fermiers généraux, la juste contribution pour l'abolition des corvées, et les autres charges de la province suivant la connaissance qu'ont les Etats des facultés de cette province, et suivant l'usage de tous les Etats, de règler la manière de contribuer.
J'ignore encor quelles sont les intentions de M: Turgot quand il exprime dans l'édit du Roi que nos contributions seront imposées sur les biens fonds de tous les propriétaires. Je ne crois pas qu'il ait prétendu que des Colons obligés de Labourer avec six bœufs un terrain ne rendant que trois pour un, paiassent toutes les charges qui surpassent de beaucoup le produit de la culture, et que les marchands, les fabriquants, qui sont les seuls riches ne paiassent rien.
Ces Marchands qui ne sont point propriétaires, profitent comme nous, et plus que nous de la franchise du sel. Un marchand, par éxemple, achête cent cochons pour les saller, et les va vendre à Genêve, il y fait un gain considérable. N'est-il pas juste qu'il contribue au bien public?
Le parlement dit dans ses remontrances que cette inégalité ferait négliger l'agriculture.
Je suis obligé d'avouer qu'en effet l'agriculture fut abandonnée dans le païs de Gex depuis la révocation de L'édit de Nantes, au point que nous avons àprésent quatre vingt trois charues de moins; Que le tiers du païs est en marais et en friche; et qu'il y a des villages où il ne reste que deux masures. La moitié des habitans se retira sur les terres de Genêve, et l'autre moitié ne s'occupa qu'à gagner sa vie en travaillant pour les marchands genevois dans le métier d'horloger et de Lapidaire.
J'ose dire que j'ai un peu contribué à remettre depuis quelques années l'agriculture en honneur, en établissant à très grands frais une colonie d'horlogers. Alors les habitans du païs de Gex ont travaillé utilement pour cette Colonie, aulieu de ne travailler que pour Genève, et le peu d'argent qu'ils ont gagné n'est point sorti de la province.
J'ai établi d'autres fabriquants qui servent à vivifier le païs.
Je parle contre moi même quand je propose que ces marchands et ces fabriquants contribuent aux charges générales; mais Mgr le Controlleur général n'est pas homme à se fâcher contre ceux qui préfèrent le bien public à leur intérêt particulier.
Voicy donc, Monsieur, un nouveau mémoire que je présente en qualité de commissionnaire des Etats, et sur lequel je suplie ce digne et respectable ministre de daigner faire écrire ses ordres en marge.
Je m'adresse à vous comme on s'adressait à Pline pour savoir les volontés de Marc Aurele.
J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Monsieur.