9 février 1776
Monsieur,
La lettre dont vous m'honorez du 31 janvier reçue le 7 février redouble la joye et les acclamations de mes compatriotes.
Je commence par vous remercier au nom de douze mille hommes de vos deux mille minots de sel.
Ensuitte j'ose vous prier, Monsieur, de vouloir bien seulement montrer à Monsieur le contrôleur général dans un moment de loisir ce petit article cy par le quel je lui demande pour nos états la faveur de les laisser les maîtres d'asseoir la répartition des trente mille livres pour les pauvres fermiers généraux. Le fait est qu'en général l'agriculture dans notre canton est à charge aux propriétaires, et qu'un homme qui n'a point d'attelage pour labourer son champ et qui emprunte la charue et la peine d'autrui perd douze livres par arpent. Un gros marchand horloger peut gagner trente mille francs par an. N'est il pas juste qu'il contribue un peu à soulager le pays qui le protége? Tout vient de la terre sans doute, elle produit les métaux comme les bleds, mais cet horloger n'emploie pas pour trente sous de cuivre et de fer au mouvement d'une montre qu'il vend cinquante louis d'or, et ce cuivre, et ce fer changé en acier fin, il le tire de l'étranger. A l'égard de l'or dont la boete est formée et des diamans dont elle est souvent ornée, on sait assez que notre agriculture ne produit pas de ces misères.
Nous nous proposons monsieur de ne recevoir jamais au delà de six francs par tête de chaque maître horloger et nous n'en recevrons pas davantage des autre marchands et des cabaretiers qui offrent tous de nous secourir dans l'affaire des trente mille livres, et dans celle de l'heureuse abolition des corvées.
Quant à la nécessité absolue de tirer nos grains de la franche Comté et du Bugey ou de mourir de faim, si quelques paysans abusent de cette permission, il sera aisé à monsieur le contrôleur général de limiter d'un mot la quantité de cette importation.
Pour les tanneries j'ay cru Monsieur sur la foi de l'almanac roial qu'elles étaient sous vos ordres. Je me contente de représenter icy que les tanneries de Gex ont été déclarées exemptes de tous droits par le duc de Sulli, prédécesseur immédiat de Monsieur Turgot.
A l'égard des pauvres habitants de l'abime nommé Léley, cinq cent pieds sous neige au bas de la faucille de Gex, déclarez dépendants de Bellai à quinze lieues de leur habitation, par cet autre prédécesseur Monsieur l'abbé Terrai, je me jette encor aux pieds de Monsieur le contrôleur général en faveur de ces malheureux qui travaillèrent encor l'an passé à nos corvées, et qui ont toujours pris leur sel à Gex. Les gardes viennent de les saisir chargés de quelques livres de sel achetés à Ferney. J'ay pris la liberté d'envoier le procès verbal à Monsg. le contrôleur général.
Nous attendons l'édit des corvées comme des forçats attendent la liberté. Vous daignez me proposer monsieur de publier un écrit sur cet objet. J'y travaillerais sans doute dès ce moment, si j'avais vos connaissances, votre stile, et votre précision. Je suis si ignorant sur cette matière que je ne sçais pas même comment monsieur Turgot s'y est pris pour détruire ce cruel abus dans sa province. Si je recevais de vos bontés quelques instructions je pourais hazarder de me faire de loin votre secrétaire comme je le suis de nos états.
Pouriez vous Monsieur pousser votre extrême condescendance jusqu'à me favoriser d'un mot de réponse et d'éclaircissement sur les articles de cette trop longue lettre?
J'ay l'honneur d'être avec respect et reconnaissance
Monsieur votre.