1776-03-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Michel Hennin.

En vous remerciant, Monsieur.
Soiez sûr que je vous garderai le secrêt.

Vous savez qu'il y avait autrefois un gros chien qui mangeait plus que trois. On proposa d'avoir à sa place trois roquets, mais comme les trois ensemble auraient mangé autant que lui, on fut obligé de garder le gros chien.

Nos états ne savent que faire ni que dire. Je voudrais qu'ils vous donnassent leurs pleins pouvoirs, et que vous voulussiez bien les accepter; nos affaires iraient plus vîte et mieux. Tout change dans ce petit païs cy, comme tout va changer en France. Le Roi a ordonné au parlement d'enrégistrer, et sur ce que ce corps AUGUSTE lui disait que la noblesse serait dégradée si elle souffrait que ses fermiers donnassent quelques petites contributions pour épargner les corvées aux cultivateurs, Sa Majesté a répondu qu'elle paiait elle même cette contribution dans ses domaines, et qu'elle ne se croiait point dégradée.

Malgré cette réponse digne de Titus et de Marc Aurele, Messieurs font d'iterratives remontrances. Le Roi sera ferme, et le bien de la nation sera opéré.

Il a fort désaprouvé l'arrêt étonnant qui a condamné le petit Livre de Mr Boncerf, 1er commis de Mr Turgot, à être brûlé. Il leur a dit qu'il ne souffrirait pas qu'on véxât ainsi ses plus fidéles sujets; qu'il deffendait les dénonciations faittes par les officiers du corps; qu'elles ne devaient être faittes que par son procureur général, après avoir pris ses ordres. Il faut espérer que la sagesse et la bonté de nôtre jeune monarque fera taire à la fin des vois peutêtre un peu trop dangereuses.

Conservez toujours, Monsieur, un peu d'amitié pour vôtre vieux malade qui vous est tendrement dévoué.

V.