1763-11-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes anges, en attendant la Tragédie, voici la farce; il faut toujours s'amuser, rien n'est si sain.
Vôtre Lettre du 3e 8bre qui veut dire du 3e novembre, parle d'une méprise, dont je suis étonné et fâché. Le billet qui était pour vous avec le paquet pour mon frère d'Amilaville, ne devait pas être dans ce paquet, mais avec ce paquet; et même ce paquet pour frère d'Amilaville, ne devait point être cacheté. C'est apparemment cette méprise qui a fait croir que je voulais soliciter la représentation d'Olimpie; c'est de quoi je suis très éloigné; et je vous dirai très modestement l'Europe me suffit, je ne me soucie guère du tripot de Paris, attendu que ce tripot est souvent conduit par l'envie, par la cabale, par le mauvais goût, et par mille petits intérêts qui s'opposent toujours à l'intérêt commun.

Conduisez toujours, mes chers anges, vôtre conjuration avec vôtre prudence ordinaire; ce ne sera pas moi qui vous trahirai; il faut être aussi ferme que je le suis, pour avoir résisté si constamment à Mr De Chauvelin l'ambassadeur. Puisque j'ai eu cette force avec lui, je ne molirai avec personne. Soiez les maîtres absolus, et puisse cette facétieuse conjuration vous donner quelque plaisir.

J'enverrai incessamment les remarques sur l'histoire générale à ce mr Hume, cousin de cet autre Hume, charmant auteur de L'Ecossaise. Ce Hume me plait d'autant plus, qu'il a été qualifié d'athée dans le journal Enciclopédique. Je sens bien, mes anges, qu'il faut qu'un Français fasse les avances avec un Anglais; ces messieurs doivent être fiers. Je ne fonde pas leur orgueil sur ce qu'ils nous ont pris le Canada, la Guadeloupe, Pondicheri, la Gorée, et qu'avec environ dix mille hommes ils ont rendu les efforts des maisons d'Autriche et de Bourbon impuissants, mais sur ce qu'ils disent ce qu'ils pensent, et qu'ils l'impriment. Il est vrai que j'agis à peu près avec la même liberté qu'un Anglais, mais je ne fais qu'usurper le droit qu'ils ont, et partant, je leur dois toute sorte de respect.

Permettez mes anges que je foure icy pour frère d'Amilaville, un paquet, dans lequel il n'y a point de méprise. Je me mets plus que jamais à l'ombre de vos ailes.

NB: Il est bien vrai qu'on critiqua autrefois, Et mes derniers regards ont vu fuir les romains, mais il est encor plus vrai que ce vers est admirable.