20 novbre 1766
Divins anges, vous vous y attendiez bien, voicy des corrections que je vous supplie de faire porter sur le manuscrit.
Maman Denis, et un des acteurs de notre petit théâtre de Ferney, fou du tripot, et difficile, disent qu'il n'y a plus rien à faire, que tout dépendra du jeu des comédiens, qu'ils doivent jouer les Scites comme ils ont joué le philosophe sans le savoir, et que les Scites doivent faire le plus grand effet, si les acteurs ne jouent ny froidement ny à contre sens.
Maman Denis et mon vieux comédien de Ferney assurent qu'il n'y a pas un seul rôle dans la pièce qui ne puisse faire valoir son homme. Le contraste qui anime la pièce d'un bout à l'autre, doit servir la déclamation, et prête baucoup au jeu muet, aux atitudes théâtrales, à touttes les expressions d'un tableau vivant. Voiez mes anges ce que vous en pensés. C'est vous qui êtes les juges souverains.
Je tiens qu'il faut donner cette pièce sur le champ, et en voicy la raison. Il n'y a point d'ouvrage nouvau sur des matières très délicates qu'on ne m'impute. Les livres de cette espèce pleuvent de tous côtés. Je seray infaiblement la victime de la calomnie si je ne prouve l'alibi. C'est un bon alibi qu'une tragédie. On dit voyez ce pauvre vieillard! peut il faire à la fois cinq actes, et cela, et cela encore? Les honnêtes gens alors crient à l'imposture.
Je vous supplie ô anges bienfaicteurs de montrer la lettre cy jointe à Monsieur le duc de Praslin ou de luy en dire la substance. Il sera très utile qu'il ordonne à un de ses secrétaires ou premiers commis d'encourager fortement mr du Clairon à découvrir quel est le polisson qui a envoyé de Paris aux empoisoneurs de Hollande son venin contre toutte la cour, contre les ministres, et contre le roy même, et qui fait passer sa drogue sous mon nom.
Comme j'en étais lâ je reçois votre lettre du 13. Je pense absolument comme Monsieur le duc de Praslin, qu'il ne faut pas imprimer les lettres de Jean Jaques tirées du dépôt, avec l'autenticité d'une permission du ministère. Mais il faudra bien les imprimer et rectifier les dattes, si Jean Jaques ose nier son écriture ce qu'il fera sans doute en se prévalant de la méprise sur ces dates, on peut avoir eu ces lettres originales des héritiers de mr du Theil. Elles ne sont point censées devoir être dans le dépôt des affaires étrangères, parce qu'elles ne regardent point les affaires d'état, et que ce n'est qu'une discussion entre un maître et un valet menacé de coups de bâton.
La lettre sous mon nom au docteur Pansophe est probablement de l'abbé Coyer. Si je l'avais écrite je serais bien loin de la désavouer, elle est digne des provinciales.
Mais prenez garde que je mentirais si ayant eu le bonheur d'écrire cette lettre charmante à Jean Jaques je disais à mr Hume que je n'ai pas écrit à Jean Jaques depuis 7 ans.
Cela est très vrai. Je ne ments point, ma lettre à mr Hume ne contient que des faits incontestables, et des faits qu'il m'était important d'éclaircir. Ce malheureux m'avait calomnié, et il a fallu me justifier.
Voici la destination que je fais selon vos ordres des rôles pour l'académie royale du théâtre français.
O anges je n'ai jamais tant été au bout de vos ailes.
V.
NB. Il y a pourtant dans la lettre au docteur Pansof des longueurs et des répétitions, elle est certainement de l'abbé Coyer.
NB. Voulez vous mettre mon gros neveu l'abbé Mignot du secret?