à Verney 29e 9bre 1766
Il y a longtemps, Monsieur, que vous êtes mon mercure et que je suis vôtre Sozie, à celà près que je vous aime de tout mon cœur et que vous ne me battez pas.
Vous connaissez une ode sur la guerre dans laquelle il y a tant de strophes admirables. On l'a imprimée sous mon nom; je serais trop glorieux si je l'avais faitte. Il y a une certaine profession de foi philosophique, digne des Lettres provinciales. Je voudrais bien l'avoir faitte encor. Je n'aurais pas cependant attribué à Jean Jaques du génie et de l'éloquence comme vous faittes dans la note qu'on trouve à la dernière page de vôtre profession de foi. Je ne lui trouve aucun génie; son détestable Roman d'Héloïse en est absolument dépourvu, Emile de même, et tous ses autres ouvrages sont d'un vain déclamateur qui a délaié dans une prose souvent inintelligible deux ou trois strophes de l'autre Rousseau, et surtout celle cy:
Jean Jaques n'est qu'un malheureux charlatan, qui aiant volé une petite bouteille d'Elixir l'a répandu dans du tonneau de vinaigre, et l'a distribué au public comme un remêde de son invention.
Je voudrais bien avoir fait encore la Lettre au docteur Pansophe. On m'avait mandé qu'elle était de L'abbé Coyer; mais on dit actuellement qu'elle est de vous, et je le crois, parce qu'elle est charmante; mais elle ne s'accorde point avec ce que j'ai mandé à mr Hume qu'il y a sept ans que je n'ai eu l'honneur d'écrire à mr Jean Jaques.
Je vous prie de vous confier à moi; je vous demande encor en grâce de vous informer d'un nommé Nonotte, ex-jésuite qui m'a fait l'honneur d'imprimer à Lyon deux volumes contre moi pour avoir du pain (je ne crois pas que ce soit du pain blanc). Il y a longtemps que je cherche deux autres libelles de Jésuites contre les parlements, l'un intitulé, Il est temps de parler, et l'autre Tout se dira. Ils sont râres, pouriez vous me les faire venir à quelque prix que ce soit?
Je vous demande pardon de la liberté que je prends. Je vous embrasse tendrement, mon cher confrère à l'académie de Lyon, qui devriez l'être à l'académie française.
V.