1766-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Bordes.

Je vous suis très obligé, Monsieur, des deux livres que vous voulez bien me confier et que je vous rendrai très fidèlement dès que je les aurai consultés.
J'espère les recevoir incessamment. L'abbé Coyer me jure qu'il n'est point l'auteur de la Lettre à Pansophe, c'est donc vous qui l'êtes? Vous dites que ce n'est pas vous, c'est donc l'abbé Coyer. Il n'y a certainement que l'un de vous deux qui puisse l'avoir écritte. Le troisième n'éxiste pas. De plus, vous étiez tout deux à Londres à peu près dans le temps que cette Lettre parut; il n'y a que vous deux qui puissiez connaître les Anglais dont on trouve les noms dans cette pièce. Le stile en est parfaittement conforme à la profession de foi très plaisante que vous fites il y a quelques années entre les mains de Jean Jaques.

Vous avez très grande raison d'avouer que ce Jean Jaques a quelque fois de la chaleur dans ses déclamations, et qu'il esr souvent contraint, obscur, insolent, hérissé de sophismes, et plein de contradictions. Si vous vouliez ajouter à cette confession générale que vous vous êtes réjouï fort agréablement à ses dépends dans la Lettre à Pansophe, vous auriez une absolution plénière, sans être obligé ni à la pénitence, ni au repentir, et vous seriez certainement sauvé chez tous les gens de goût.

Je ne trouve dans cette publication de la Lettre à Pansophe, d'autre défaut, sinon qu'elle me met en contradiction avec moi même comme Jean Jaques. Je dis à mr Hume qu'il y a plus de sept ans que je n'ai écrit à ce polisson, et celà est très vrai. La Lettre à Pansophe semble me convaincre du contraire. Vous m'avez toujours marqué de l'amitié, je vous en demande instamment cette preuve. La Lettre à Pansophe vous fait honneur et me ferait du tort. Vous avouez l'ode que vous avez mise sous mon nom, avouez donc aussi la prose, et croiez qu'en vers et en prose je connais tout vôtre mérite, et que je vous suis tendrement attaché.