1766-11-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à André Morellet.

Je vais chercher, Monsieur, les deux petites curiosités que vous désirez avoir, et elles vous parviendront par vôtre ami, à qui j'envoie cette Lettre, et à qui je demande comment il faut s'y prendre.
Je ne crois point que ces bagatelles doivent de droit aux fermiers généraux, mais il est toujours bon de prendre toutes ses précautions, et de ne pas s'exposer à des avanies.

Il est vrai, Monsieur, que ce serait une grande consolation pour moi, de former des élêves qui soutinsent le seul véritable théâtre qu'on ait en Europe. En vérité, j'ai besoin de consolation; les choses que vous me mandez, celles que je sçais d'ailleurs, et certains évênements publics, font frémir le bon sens, et déchirent le cœur. Si j'étais plus jeune, si je pouvais me transplanter, si ceux qui sont capables de rendre les plus grands services à la raison humaine avaient du courage, je sçais bien quel parti il y aurait à prendre. Mais il faudrait se voir, et puis-je encor me flatter que vous ferez un voiage à Lyon pendant ma vie, et que je pourai vous parler à cœur ouvert?

Il n'était pas possible que vous prissiez le parti de Rousseau dès que vous l'avez connu. Nonseulement c'est un fou, mais c'est un monstre. Mr Tronchin a la preuve en main qu'il ne m'avait écrit une Lettre insolente, que pour m'engager dans une querelle sur la comédie, et pour soulever contre moi les prédicants et le peuple de Genêve. Je n'ai pas été sa dupe. Ce pauvre fou a trop d'orgueil pour être adroit; il est méchant, mais il n'est pas dangereux. C'est un grand malheur, je l'avoue, qu'un homme qui pouvait servir en ait été si indigne; mais il n'aurait pu être utile qu'avec un meilleur cœur et un meilleur esprit. Aimons toujours, Monsieur, les Lettres qu'il déshonore et qu'on persécute. Vous ferez plus de bien que Jean Jaques n'a fait de mal. Continuez moi vos bontés, combattons sous le même étendart sans tambour et sans trompette. Encouragez vos alliés, et que les traittés soient secrêts. Comptez sur ma tendre et respectueuse amitié.

Vôtre très humble et très obéïssant serviteur

Miso-Priest

La Lettre au docteur Pansophe n'est point de moi, elle est de l'abbé Coyer. Je voudrais l'avoir faitte.