1766-08-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ai reçu, mon cher ami, votre lettre du 5.
Je vous envoie les principaux extraits des lettres de Jean Jaques dont l'original est au dépôt des affaires étrangères. Vous y verrez que Jean Jaques, domestique du comte de Montaigu, était bien éloigné d'être secrétaire d'ambassade. Il ne parlait pas alors avec tant de dignité qu'aujourd'hui.

Vous trouverez dans la gazette de France n. 249 la justice que lui rendirent les médiateurs de Geneve en le traitant de calomniateur atroce. Tant de témoignages, joints aux tours qu'il a joués à messieurs Diderot, Tronchin, Hume, d'Alembert et tant d'autres, sa piété lorsqu'il eut le bonheur de communier de la main d'un Montmollin, sa noble promesse d'écrire contre m. Helvetius, toutes ces actions honnêtes lui assurent sans doute une réputation digne de lui.

Le bruit qui a couru si ridiculement que je voulais me transplanter à mon âge n'est fondé que sur les cent écus que le roi de Prusse m'a envoyés pour les Sirven, et sur l'offre qu'il leur a faite de leur donner un asile dans ses états. Pour moi je ne vois pas pourquoi je quitterais mes retraites suisses dont je me trouve si bien depuis douze années.

Mr Boursier votre ami nous est venu voir aux eaux de Rolle où nous sommes toujours. Il s'en retourne à Geneve et il vous prie de lui adresser dans cette ville en droiture et à son propre nom, les instructions que vous voudrez bien lui faire parvenir touchant sa manufacture. On ne lui a rien mandé touchant m. Tonplat et il doute fort que ce Hollandais veuille s'intéresser dans ce nouveau commerce. Il y aurait pourtant de très grands avantages, mais on voit les choses de loin sous des points de vue si différents qu'il est bien difficile de se concilier.

Au reste je m'entends si peu à ces sortes d'affaires que je n'entre dans aucun détail de peur de dire des sottises. Il faut que chacun s'en tienne à son métier. Le mien est de cultiver en paix les belles lettres et l'amitié. Ce sont les seules consolations de ma vieillesse et de mes maladies.

J'ai lu le mémoire de l'homme éloquent dont on plaint le malheur. Il ne paraît pas qu'il ait voulu adoucir ses ennemis. S'il y a quelque chose de nouveau sur cette affaire, vous me ferez un extrême plaisir de m'en instruire.

Vous m'avez mis du baume dans le sang, en me disant que m. de Beaumont travaillait pour les Sirven. Puisse mon baume ne point s'aigrir!

Adieu, mon âme embrasse la vôtre.