1765-12-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, connaissez vous ce proverbe espagnol?
De las cosas mas seguras, la mas segura es dudar. Des choses les plus sûres la plus sûre est de douter. Comment voulez vous que made Du Deffant ait ces mélanges dont vous me parlez, puisqu'ils ne sont pas encor achevés d'imprimer? il est vrai que made Du Deffant a une Lettre sur Mlle de L'Enclos; c'est une épreuve du 3e volume dont j'ai cru pouvoir la régaler, parce qu'elle me demandait avec la dernière instance de quoi l'amuser dans le triste état où elle est.

On ne vous a pas dit plus vrai sur les affaires de Genêve. Les deux partis n'ont point promis de ne point prendre les armes, il n'a jamais été question de pareilles extrémités; tout s'est passé, se passe et se passera avec la plus grande tranquilité; et si j'avais quelque vanité je pourais dire que je n'ai pas peu contribué à la bienséance que les citoiens ont gardé dans toutes leurs démarches. On éxagère tout; on falsifie tout, on m'attribue tous les jours des ouvrages que je n'ai jamais vus, et que je ne lirai point. Je me suis résigné à la destinée des gens de Lettres un peu célêbres, qui est d'être calomniés toute leur vie.

Je bénirai le jour où nôtre cher Elie de Beaumont m'enverra le factum sur les Sirven. Quand même il ne réussirait pas judiciairement, il réussira toujours à démontrer au public l'innocence de ses cliens; il réussira à confirmer sa grande réputation. Ces deux points importants consoleront du refus d'une attribution d'autres juges.

Jean Jaques est toujours un grand fou, et souvent un méchant fou. Je crois qu'Helvetius a dû être bien étonné du prix que J: Jaques a mis à sa communion huguenote.

Adieu, mon cher frère, conservez vôtre santé. Mr Boursier m'a mandé qu'il vous avait écrit.