29e avril 1765
Mon cher frère, j'ai envoié à vôtre protégé Grasset la Lettre dont vous l'avez honoré.
Je doute fort que la voie de ce Mr Cataud soit commode et sûre, et j'ai grande impatience de savoir si celle de Lyon et de Mr Gaudet aura réussi. L'idée de l'estampe des Calas est merveilleuse. Je vous prie de me mettre au nombre des souscripteurs pour douze estampes. Il faut réussir à l'affaire des Sirven comme à celle des Calas; ce serait un crime de perdre l'occasion de rendre le fanatisme exécrable. Je crois que le généreux Elie peut toujours faire son mémoire. La confirmation de l'arrêt de Toulouse est assez constatée par le procez verbal d'éxécution. Le mémoire des Sirven est de sa plus grande fidélité. Il a répondu avec éxactitude à toutes les interrogations de son patron Elie, ainsi nous espérons dans peu voir la seconde philippique.
L'avanture de Mlle Clairon est furieusement Welche. Si j'avais un conseil à donner aux gens tenants la comédie, ce serait de ne jamais remonter sur le théâtre qu'on ne leur eût rendu les droits de citoiens. La contradiction est trop forte d'être mis au cachot si on ne joue pas, et d'être déclaré infâme si on joue. Je crois qu'il faut envoier une aune de ruban à l'abbé de Voisenon. Vous savez d'ailleurs comment placer ces pompons; on dit qu'ils peuvent guérir les pestiférés. Il faut en envoier un à l'hôtel de Condé à Mr le Comte De La Touraille, gentilhomme de la chambre du prince. Un à Made la comtesse De La Marck, rue st Antoine. Faisons le plus de bien que nous pourons, Dieu nous en saura gré.
Je compte que Gabriel fera partir le Ier de may, la petite batterie dressée contre l'insolence et l'absurdité théologique. Il nous est arrivé un général autrichien qui est tout à fait attaché à la bonne cause. Nous avons aussi un éxcellent prosélite Danois; toute langue et toute chair commence à confesser la vérité. O sainte philosophie! que vôtre règne nous advienne! J'embrasse tous les frères dans la communion de l'esprit. Dieu répand sur eux visiblement ses bénédictions. Je vous aime tous les jours davantage.
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NB il me vient en idée de faire dessiner aussi le portrait du petit Calas qui est encor à Genêve; il a la phisionomie du monde la plus intéressante. On pourait, pour en faire un beau contraste, le placer à la porte de la prison, sollicitant un conseiller de la Tou[r]nelle. Voiez, mon cher frère si cette idée vous plait, parlez en à Made Calas.
Mandez moi, je vous prie, si Mlle Clairon est encor au Fort l'évêque et si elle persiste dans la résolution de renoncer au théâtre.