1766-12-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Ce drame deviendra bientôt l'habit d'Arlequin.
J'envoie à mes anges tous les ordinaires, de nouveaux morceaux à coudre. Je change toujours quelque chose dès que j'ai dit que je ne changerais plus rien. Mais, après tout, c'est pour plaire à mes anges.

Cependant, je crois que je suis au bout de mon rôlet, et que j'ai épuisé toutes mes ressources. Chaque animal n'a qu'un certain degré de force, et tous les efforts qu'il fait par delà sont inutiles. Je suis épuisé, je suis à sec.

Mr de Thibouville a mandé d'étranges choses à maman Denis, il dit que si par hasard il y avait une pièce nouvelle de la façon de votre créature, la superbe Clairon pourrait s'abaisser jusqu'à rentrer au théâtre, et à se charger du rôle principal de la pièce. Mais ce sont des chimères dont on berce les pauvres provinciaux, les pauvres habitants des déserts de la Scithie.

Quoi qu'il en soit, je cherche toujours à prouver mon alibi, c'est le point principal, et j'ai pour cela les plus fortes raisons.

Je n'ai point entendu D'Alainville, mais tous ceux qui l'ont entendu et qui s'y connaissent parfaitement disent qu'il est nécessaire à la Comédie française. Au reste, comme il n'y a dans les Scithes aucun personnage qui crie, excepté Obeide (dans ses imprécations) Molé s'il est rétabli pourra jouer un des deux principaux rôles.

Nous venons de la relire pour la quatrième fois, et elle nous a fait la même impression que la première.

Remarquez bien, ô anges! que voici le 5e paquet de corrections. Vous devez avoir tout reçu, soit par mr le duc de Praslin, soit par mr de Courteille, soit par mr Marin.

Voilà qui est fait, je ne me mêle plus de rien, c'est à vous à prendre soin de mon salut.

Point du tout; il y a encore quelques petits coups de pinceau à donner, quelques mots répétés à varier, et puis maman Denis dit que c'est tout. Mais qu'en disent mes anges?