1769-09-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Augustin Louis Marie Texada, marquis de Ximénès.

Vraiment, Monsieur le marquis, vous auriez rendu un grand service à trois ou quatre cent mille hommes qui soupirent après la Tolérance, si vous aviez engagé Mr le maréchal de Richelieu à faire jouer les Guebres à Fontainebleau.
Mais n'y a t-il point quelque méprise? N'a t-on pas pris les Scythes pour les Guêbres? Le jeune auteur n'est pas à portée de se mêler de cette affaire. On m'a dit qu'il vivait dans la plus profonde retraite, loin du tripot de la comédie, et loin de tous les autres tripots. Personne ne s'est chargé de soliciter les représentations des Guebres, personne n'en a été prié, vous êtes le seul qui en aiez parlé à Mr le Maréchal De Richelieu, et c'est à vous seul qu'on en aurait l'obligation si la chose réussissait.

On m'a mandé que l'auteur y a fait quelques additions. Je suis persuadé qu'il vous enverrait sa pièce avec ces changements, et qu'il serait infiniment sensible à vos bons offices.

Je ne vois pas pourquoi le premier gentilhomme de la chambre aurait besoin à Fontainebleau du lieutenant de police de Paris pour faire jouer une Tragédie imprimée. Le Roi n'est-il pas le maître chez lui, et l'Empereur Gallien ne peut-il pas débiter devant lui les maximes les plus sages et les plus favorables aux hommes, sans l'aprobation par écrit d'un censeur roial?

Aureste, je doute fort que le magistrat de la police prenne sur lui d'aprouver ouvertement cette pièce. Il est trop circomspect, et les ennemis de la raison sont trop acharnés. Si vous pouvez l'encourager et le déterminer, vous ferez une bien belle action, et en qualité de tolérant je vous aurai la même obligation que les premiers chrétiens avaient à ceux qui fesaient cesser les persécutions.

Les derniers chapitres de l'histoire dont vous me parlez ne peuvent pas sans doute être de la même main que les autres. Ils sont remplis de fautes grossières, et de faussetés évidentes; les noms sont estropiés, les méprises sont absurdes.