A Paris ce 4 Sbre 1769
Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 30 auguste, vous m'annoncés que le jeune auteur des Guebres a beaucoup ajouté à son ouvrage et que vous êtes content de ce qu'il a fait.
Vous me parlés en même tems du désir que les comédiens ont eu de jouer cette pièce et que la crainte de l'archevêque a arresté les représentations. Non ce n'étoit pas lui qu'il falloit consulter. Un homme de son état de quelque manière qu'il pense intérieurement ne peut être autentiquement d'avis qu'on joue la comédie. Fontenelle est tombé dans la faute de consulter pour les vestales l'archevêque de Paris et il a tellement aggravé les difficultés qu'on lui faisoit qu'il a eu même beaucoup de peine à faire imprimer sa tragédie. Cependant on l'a donné dans plusieurs troupes de province. Les Guebres sont imprimés avec permission du moins tacite et par conséquent dans un cas plus favorable. Les additions sont sûrement de nouvelles beautés, mais vous ne me dites point de quel genre elles sont, si elles peuvent rendre la police plus indulgente et si les comédiens de Lyon les avoient lorsqu'ils ont voulu jouer la pièce. Je voudrois bien pouvoir en juger et il seroit essentiel que Marin les eût afin d'étendre votre bienfait jusqu'à une seconde édition et que vous eussiés la bonté de ne pas la laisser prévenir. Avoir sçu seulement qu'une certaine lettre qui vous est adressée manquoit à la première l'a fait juger imparfaite et lui a fait un grand tort. On a recherché de préférence l'édition de Geneve ou de Lyon. Celle de Paris n'a pas rendu à beaucoup près ce qu'elle devoit rendre. Marin et le Kain n'en ont tiré jusqu'à présent que 15 louis à partager entre eux. Ce dernier est à plaindre et sa santé l'a obligé de faire un voyage très coûteux. Il comptoit se dédomager un peu en jouant dans les villes principales qu'il trouveroit sur son passage en revenant. Le despotisme du mareschal s'y oppose. Il veut qu'il soit icy dans le courant du mois. Encor si c'étoit pour jouer les Scythes je lui passerois mais c'est pour se tenir près un certain Guillaume Tel, pièce suisse dans toutes les acceptions et qui n'a eu aucun succès. On veut que les comédiens qui n'ont pas paru depuis trois ans à la cour débutent par ce chef d'oeuvre. Je ne sçaurois croire cependant que le mareschal vous refuse entièrement les Scythes surtout si vous lui proposés de les substituer à Merope. Je vous ai écrit au sujet de Pandore. Je désire bien vivement que vous soiés touché des observations qui accompagnoient ma lettre. Outre que je les crois très bonnes, c'est que nous avons affaire à un petit homme bon mais opiniâtre et qui ne démort jamais de ses idées. Il est tellement butté aux corrections qu'il demande que si vous ne le contentés pas sur cet article quelque désir qu'il ait de vous servir il croira même en conséquence de ce désir qu'il ne faut pas donner Pandore.
Je vous fais compliment sur le bon état de l'affaire des Sirven, et je me félicite d'avoir été presque seul de l'avis de le faire aller à Toulouse. L'affaire de Martin n'est malheureusement que trop vraisemblable. Je la crois vraye mais vous prenés un excellent parti de ne pas entrer dans cette nouvelle querelle. Laiss ons les fanatiques pour ce qu'ils sont, nous ne viendrons pas à bout de les corriger. Ils sont incorrigibles. Songés cependant que la nation a gagnée beau coup à cet égard dans les malheureuses époques que vous rappelés. Elle étoit presqu'entièrement livrée à une maladie atroce. Aujourd'hui il n'y en a qu'une très petite partie. Je conviens que c'est celle qui a la police et l'autorité mais on ne la fera point changer, et les tentatives à ce sujet ne peuvent qu'être dangereuses. Adieu mon très cher ami, vous sçavés combien nous vous aimons. On m'a communiqué des chapitres corrigés d'une certaine histoire. Le dernier est bien, c'est celui qui regarde les jésuites, l'autre n'est pas encor connu. Il doit être et je conseille à l'auteur de la changer ou de la supprimer.