4^e auguste 1769

Mon cher ange parlez moy je vous prie du Rhume de madame Dargental.
Comment est on enrhumée au mois d'aoûst ou d'auguste? Il est vrai que la nature m'avertit quelque fois de mon âge et de ma faiblesse, mais je la laisse dire, et quand elle a tout dit, elle me laisse faire. Comme madame Dargental est plus jeune et plus sage que moy, elle se tirera mieux des tours que sa mauvaise santé luy joue quelquefois.

Vous me parlez dans votre lettre du 22 de certains papiers dont un curieux s'est emparé. Vraiment je n'en ay parlé à personne, et je suis très éloigné de faire une tracasserie qui pourait perdre un jeune homme et qui d'ailleurs ne me ferait que du mal. Dupuis le vit emporter de ma bibliotèque baucoup de papiers. J'en ay perdu de très importants. J'ay été puni de mon trop de confiance. C'est un malheur qu'il faut oublier. J'en ay essuié de plus grands et je sçais trop qu'il y a des circomstances où il faut absolument se taire.

C'est la faute de Marin s'il n'a pas mieux fait son marché. Il s'en est raporté au libraire dont je n'avais jamais exigé que cent écus d'honoraire pour le Kain et qui s'en est tenu à cet usage.

Il faut espérer que les représentations vaudront davantage car on me mande que quelques amateurs veulent absolument qu'on joue la pièce. M^r de Chimene m'a déjà envoyé une distribution des rôles. Il n'y a point eu de deffense formelle. M^r Morau est le seul qui ait prétendu que l'ouvrage était une satire de nos prêtres. Il me semble qu'on peut aisément faire entendre raison à ce Monsieur Morau. Tous les gens qui veulent avoir du plaisir doivent se liguer contre luy.

Pandore et les Guebres sont de petits bâtards qu'il est difficile d'élever. Si monsieur le duc Daumont ne protège pas Pandore il faudra bien qu'il favorise les Guebres. On ne peut exclure tant de gens à la fois.

La santé de madame Dargental vous permettra t'elle de faire un tour à Compiegne? se met elle au lait? Est ce m. Bouvard qui la gouverne? Je ne m'acoutume point à la mort de Fournier. Cela devrait détromper des médecins. J'en ay enterrez cinq ou six pour ma part. Mais ce n'est pas d'eux que je voudrais qu'on fût le plus détrompé.

A vos pieds mes chers anges.

V.