A Paris ce 9 sbre 1769
Je voudrois, mon cher ami, pouvoir respecter votre repos et vos occupations très méritoires, mais je suis obligé d'insister encor de la part de Mr d'Aumont sur une partie des critiques dont je ne sais pas l'auteur mais qu'avant votre lettre j'avois approuvé.
Il me paroit que vous avés raison sur l'explication de la boete donnée à Nemesis et qu'il suffira de faire dire à Jupiter prends les traits de Mercure. Vous pouvés aussi être fondé de ne point vouloir de la scène qu'on vous avoit proposé, mais je suis chargé de la part de M. le duc d'Aumont de vous demander avec les plus vives instances de retoucher celle qui se passe entre Pandore et Nemesis, qui est la plus importante de l'ouvrage. Les motifs dont vous vous servés pour la déterminer ne vous ont pas paru suffisants puisque vous ne la faites céder qu'au nom de son époux, mais permettés moi de vous représenter que vous n'avés pas rendu votre idée. Vous vouliés que sa résolution d'ouvrir la boete fût prise par sentiment pour Prometée. Point du tout, on lui dit qu'elle aura toujours l'empire sur lui et c'est ce mouvement de vanité qui la détermine. C'est uniquement par l'orgueil d'avoir la supériorité, ce qu'on appelle en langage trivial porter la culote. Dès lors elle n'est plus intéressante. Revoyés sans prévention cette scène et je suis persuadé que vous serés de mon avis, mais quand vous n'en seriés pas je vous conjurerois encor d'y faire quelque changement pour contenter Mr Daumont qui a grande envie de vous plaire mais qui est très opiniâtre dans sa façon de penser lorsqu'on lui a persuadé qu'elle est bonne. C'est l'affaire de quelques vers, une demy heure de travail vous suffira. Mr de Richelieu vous a sans doute écrit qu'il avoit remis les Scythes sur le répertoire. C'est la dernière pièce qu'on donnera à Fontainebleau. Ainsi on aura le tems de s'y préparer. Si vous aviés par hasard quelque nouvelles réflexions à faire sur cette tragédie il faudroit les envoyer le plustôt qu'il sera possible. J'espère aussi que vous aurés égard à m. Demans par rapport aux changements que vous avés fait aux Guebres et comme tout ce qui vient de vous m'est précieux je voudrois aussi que vous ordonassiés qu'on me communiquât cette comédie dont vous voulés inutilement me dégouster. Le retour de le Kain ne sçauroit être éloigné. Dès qu'il sera ici, il n'épargnera pas ses soins auprès de melle Vestris pour qu'elle rende le rosle d'Obeide aussi bien qu'il le mérite. Elle a déjà commencer à l'étudier et elle est pleine de zèle et de bonne volonté pour pouvoir être digne d'un choix dont elle est infiniment reconnoisante.
Adieu, mon très cher ami, vous sçavés si je vous aime ou plustôt si nous vous aimons, car me Dargental se met toujours de la partie.