A Paris ce 19 dbre 1773
Je me serts, mon cher ami, d’une voye un peu lente mais sûre pour répondre à votre lettre du 5.
J’ai voulu pouvoir m’expliquer librement sur les articles qu’elle contient. Je commence par vous marquer ma surprise sur ce que celle, que la personne connue de me de st Julien devoit vous remettre, ne vous est pas parvenüe. Le porteur étoit un garde du corps nommé Varicour, un de vos protégés demeurant dans le voisinage de Fernay. Peut-être qu’en faisant des perquisitions mon épitre se retrouvera mais dans l’incertitude je vais vous répéter les points sur les quelles elle rousloit, 1. l’auteur de la malheureuse édition des loix de Minos, 2. le peu de bonne volonté du maitre des jeux pour cette pièce, 3. son défaut d’activité sur une possibilité de retour qu’il auroit procuré s’il avoit mis à cette affaire autant de zèle qu’il en met pour donner des spectacles qui sont une profusion de dépense et d’ennui. J’ai plus de probabilités que vous n’en avés eu dans l’affaire de mr de Morangies pour croire que l’auteur de l’édition est Marin, qui s’est entendu avec Valade au quel cette intelligence a assuré l’impunité. Vous sentés que cette découverte ne doit pas vous déterminer à rompre avec un homme dont à tout moment vous pouvés avoir besoin et qu’il faut dissimuler les injures et feindre de les ignorer afin de ne pas être obligé à en marquer son juste ressentiment. Il en doit être usé de même à l’égard du me des jeus, ne point affecter de mécontentement et prendre ses mesures en conséquence de ce qu’on sçait de ses dispositions. Il va finir son année, mr Daumont lui succédera, il déclare qu’il ne veut point se mesler des spectacles de la ville mais si ce n’est lui ce sera mr de Duras au quel il renvoira tout ce qui regarde le tripot. Il faudroit en effet que les comédiens fussent plus ingrats mille fois qu’ils n’ont coutume de l’être pour disputer des droits à leur père nouricier. Cependant je vous avoue que je pense qu’il n’y a que melle Vestris et le Kain sur les quels vous pouvés compter, le reste ne se gouverne que par les cabales et les intrigues de Molé, partisan déclaré de tous les mauvais auteurs, ennemi des pièces qui ont du mérite et parconséquent déchainé surtout contre les vôtres. Je crois donc mon cher ami qu’il faudra après Sophonisbe, qui ne pourra être jouée qu’au commencement de janvier, que vous preniés la peine d’écrire à mrs Daumont et de Duras pour qu’ils donnent ordre aux comédiens de se mettre en devoir, toute affaire cessante, de donner les loix de Minos ce caresme. Vous avés les meilleures raisons pour appuyer votre demande et exprimées par vous elles doivent être victorieuses. Quand au dernier article, le plus intéressant surtout pour vos amis, il est vray que vous avés fait dans mr de Chauvelin que je regretterai toute ma vie, une très grande perte, mais il n’étoit pas le seul en état de parler et je me flatte que cette affaire ira à bien pourvu que le mre des jeux ne la gâteât pas. C’est de quoi nous tâcherons de la préserver. Souffrés (que dans les vœux que me Dargental et moi nous formons pour que vous jouissiés de tous les biens que vous pouvés désirer dans l’année où nous allons entrer) nous insistions sur celui qui nous toucheroit beaucoup plus que vous et que nous souhaitions de pouvoir vous embrasser enfin autrement que par lettre, aussi tendrement que nous vous aimons.