28e auguste 1772
Mon cher ange m’écrit du 22 mais n’a t’il point reçu le paquet des loix de Minos que je lui avais dépèché par mr Bacon, substitut de Monsieur le procureur général?
Il me parle de la fête de la Saint Barthelemi, mais pas un mot de Minos. J’ay peur que messieurs de la poste ne se soient lassez de favoriser mon petit commerce de tragédies et de montres que je fesais assez noblement. J’ay essuié les plus grandes difficultés et les plus cruels contre temps dont ni tragédie ni comédie ni petits vers ni brochures ne peuvent guères me consoler, mais si Minos ne vous a point été rendu que deviendrai-je?
J’ay toujours été persuadé que le procureur qui a joué le rôle de magistrat avec du Jonquai est punissable; et que des Brunieres le poussecu mérite le pilori; que M. de Morangé a cru attraper les Dujonquai en se faisant prêter par eux cent mille écus qu’il ne pouvait rendre; qu’il a été attrappé lui même; que dans l’ivresse de l’espérance de toucher cent mille écus dans trois jours il a signé des billets avant d’avoir l’argent. Mais je tiens qu’il est impossible que les du Jonquai aient eu cent mille écus.
Dieu veuille que je ne perde pas cent mille écus à mes manufactures!
Minos me consolera un peu s’il réussit mais vraiment pour le dépositaire je ne suis pas en état d’y songer. Minos a toutte mon âme.
On a joué ces jours passez Olimpie sur le téâtre de Geneve qui est à quelques pas de la ville. Elle a été aplaudie bien plus qu’à Paris. Une belle actrice toutte neuve, toutte simple, toutte naive, sans aucun art a fait fondre en larmes. Ce rôle d’Olimpie n’est pas fait, dit on, pour melle Vestris, c’est à vous d’en juger. Patras a joué supérieurement le grand prêtre. Je le trouve bien meilleur que Sarrazin dans plusieurs rôles. Il me paraît nécessaire au tripot de Paris. Il s’offre à jouer tous les rôles. Il a beaucoup d’intelligence, un air très intéressant. Il y a là de q[uoi] faire un acteur admirable. Il me seraït très nécessaire dans les loix de Minos. Les comédiens le refusent ils parce qu’il est bon? Ils ont déjà privé le public de plusieurs sujets qui auraient soutenu leur pauvre spectacle. Les intérests particuliers nuisent au bien général dans tous les tripots.
Je lirai le livre dont vous me faittes l’éloge, mais j’aime mieux Moliere que des réflexions sur Moliere.
A l’ombre de vos ailes mes divins anges.
V.